Tout le monde à poêle !

Le scandale des produits transformés a remis sur la table la nécessité de cuisiner soi-même. Un exercice pas si compliqué.

Jean-Claude Renard  • 21 février 2013 abonné·es

Acide lactique (E 270) dans la sauce tomate (Auchan). Disulfite de sodium (E 223) et gomme xanthane (E 415) dans le pavé de saumon grillé purée de pomme de terre aux épinards (Auchan). Diphosphate disotique (E 450), triphosphate pentasodique (E 451), erythorbate de sodium (E 316), béta-carotène (E 160a) dans la tourte à la parisienne (Leader Price)… Côté cordons bleus de poulet chez Picard, se bousculent l’extrait de paprika (E 160c), des citrates de sodium (E 331), de l’alginate de sodium (E 401) et des carraghénanes (E 407). Des carraghénanes qu’on retrouve dans un dentifrice, dans « l’écrasée de pommes de terre à l’huile d’olive » (Picard) ou dans la « galette des rois amande frangipane » (Picard encore), où s’ajoutent des traces de « crustacés, poissons, soja, arachide, autres fruits à coque, sésame, mollusque ». Un pêle-mêle lié à la fabrication de produits différents dans un même établissement.

Rien de très ragoûtant dans cette pile d’additifs faits pour conserver ou colorer. Tel est le menu quotidien de nombre de foyers, grands consommateurs de plats transformés. Le micro-ondes est à la cuisine ce que la télévision est au salon. Place prépondérante. La faute à pas de temps, qu’on dit (mais gagner du temps sur quoi ?). La faute au siècle de vitesse. Qui obligerait à avaler n’importe quoi. La profusion et le succès des programmes culinaires à la télévision (rassemblant cinq à six millions de téléspectateurs pour « Top Chef » ou « Masterchef ») laisseraient penser que l’époque est à la reconquête des fourneaux. Rien n’est moins sûr, à regarder les Caddies de supermarchés garnis de plats cuisinés. Ces programmes rassemblent parce qu’ils vendent du rêve. Au même titre qu’un tirage du Loto. La mode, bien installée aujourd’hui, des cours de cuisine chez les restaurateurs, pourrait aussi laisser penser à une volonté de taquiner la casserole à domicile. Mais c’est là une démarche qui répond souvent à l’épate des soirs de fêtes. Et surtout : qui peut s’offrir un cours de cuisine de trois ou quatre heures, entre 75 et 120 euros selon les établissements ?

À vrai dire, le temps et l’argent sont des idées reçues dans les habitudes de consommation. La cuisine, c’est beaucoup plus que des recettes. Certes, du lien social. Certes, du temps à l’épluche. Mais pas vraiment coûteux. Sur un marché, en ce plein hiver, le brocolis, la carotte, le potiron sont à 1 euro le kilo. 1,30 euro le kilo de navet, 2,50 euros les petits pois. C’est assez pour fabriquer une soupe. Voire une poêlée. Pêle-mêlée dans un faitout, c’est trois fois moins de temps que l’écoute d’une matinale de Patrick Cohen sur France Inter. La cuisse de pintade à 8,90 euros le kilo : à sec dans une cocotte en fonte (selon les conseils d’Alain Passard, sublime chef de la haute cuisine), sans graisse, cuite d’abord sur la peau puis retournée sur la chair, c’est le temps du « Petit Journal » de Canal +.

Toujours sur un étal, celui d’un poissonnier : la limande blonde ou le carrelet à 3,90 euros le kilo. À placer au four le temps d’un JT, arrosé de citron. Ou le maquereau à moins de 3 euros le kilo, fourré de moutarde, dégusté après vingt minutes au four. Mieux : le mulet. Poisson délaissé, entre 7 et 9 euros le kilo. À faire tailler en filets par son poissonnier. Lequel vous répliquera moqueur : « Vous vous lancez dans la grande cuisine ? » Sans savoir que le plus grand chef d’Alsace, Valère Diochet, au restaurant le Pont aux chats, à Strasbourg, propose précisément ce plat en carpaccio (au sein d’un menu complet calibré à 17 euros, fait maison !). À servir aussi en tartare. En dix minutes, arrosé d’un jus de citron. Moins de temps que les agapes d’Alexandra Sublet (France 5). Pour finir, une poire cuite au vin, une pomme au four, c’est tout de même pas plus compliqué qu’un passage en caisse avec des yaourts Yoplait. Il existe mille et une manière de faire. Voire de refaire, en mangeant équilibré et en équilibrant son budget. Parce que la cuisine est un sentiment. Elle est affaire d’éducation. Il existe des foyers où les mouflets n’ont jamais connu la moindre fragrance. Les effluves d’un court-bouillon, d’un fond de veau, d’un riz pilaf, d’une soupe taquinée de cumin. Ni même les parfums d’un haricot mouton. Sans effluves, pas de transmission. Ni de goût. C’est pourtant pas con, le haricot mouton.

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Contre la malbouffe : Manger local
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