Stéphane Hessel, conscience de notre siècle

Militant anticolonialiste israélien, Michel Warschawski rend hommage à l’homme de tous les combats justes et humanistes.

Michel Warschawski  • 7 mars 2013 abonné·es

«Donne-toi un maître, fais-toi un ami », dit le Traité des Pères, et le Talmud de commenter : « Donne-toi un maître qui soit aussi ton ami. » Stéphane Hessel était mon maître et mon ami. Je n’arrive pas à me souvenir quand et comment nous nous sommes rencontrés pour la première fois, tant nos vies et nos combats se sont croisés au cours des dernières décennies.

C’était au début des années 1990. Des souvenirs : Stéphane Hessel qui préside, dans trois langues, la grande commémoration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme à Paris ; Stéphane Hessel qui, en 2002, me remet, dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne, un prix littéraire pour mon livre Sur la frontière ; Stéphane Hessel qui anime la grande fête du cinquantenaire du CCFD, et où il n’hésite pas – il avait plus de 80 ans – à faire des exercices d’équilibre sur un tonneau pour faire rire les enfants ; et, tout dernièrement, Stéphane et Christiane Hessel qui me font l’honneur et la joie d’être présents à la remise du Prix des droits de l’homme au Centre d’information alternative, que je préside, par la garde des Sceaux, Christiane Taubira. À mon petit-fils, Idan, qui était présent et me demandait : « Qui est ce vieux monsieur avec qui tu t’es si longuement embrassé ? », j’ai répondu : « L’homme que j’aurais voulu être si j’avais pu avoir le choix. »

Mais c’est surtout sur la Palestine que nos chemins se sont non pas croisés mais rejoints. Chaque fois que Stéphane et Christiane venaient en Palestine/Israël, nous étions ensemble. Et si au début je leur servais de guide, cela a vite cessé d’être nécessaire : ils avaient tissé un nombre impressionnant de contacts, que ce soit dans la société palestinienne ou dans le mouvement anticolonialiste israélien.
Mon ami le cinéaste Abraham Segal a immortalisé cette mission civile organisée en pleine Intifada, autour d’anciens résistants, et dans laquelle, alors que leur bus était bloqué au check point de Qalandia, Stéphane Hessel a récité pendant près d’une heure, et dans leur langue d’origine, une douzaine de poèmes des grands classiques qu’il connaissait par cœur. Récité n’est pas le bon mot, car il a littéralement joué ces poèmes, avec tout son corps et les mimiques de son visage. D’ailleurs, tous ceux qui ont croisé Stéphane Hessel ont été séduits par cet expressionnisme qui caractérisait ses interventions mais aussi son écoute. Oui, ce grand homme était aussi un grand charmeur…

Le positionnement de Stéphane Hessel sur la Palestine n’allait pas de soi, et reflète là aussi son grand courage et surtout son honnêteté intellectuelle. Contrairement à beaucoup d’autres personnalités de premier plan, il ne pouvait y avoir, pour lui qui a assisté à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, deux poids et deux mesures, et une éthique à géométrie variable : ce qui était juste en 1947 pour les Juifs rescapés des camps devait l’être aussi pour les Palestiniens, et celui qui, aux Nations unies, s’était enthousiasmé pour la création de l’État d’Israël, ne pouvait que lutter pour le droit des Palestiniens à la liberté et à l’indépendance.

C’est ce dernier engagement qui fait déraper, une fois de plus, le président du Crif, Richard Prasquier. Certes, il n’ose pas aller, comme d’autres sionistes, jusqu’à affirmer que Stéphane Hessel n’a pas été un résistant, ou qu’il a collaboré au camp de Buchenwald avec ses geôliers nazis, mais écrire, comme il le fait, que « Stéphane Hessel fut avant tout un maître à ne pas penser. Son grand âge, son sourire, son apparente ingénuité, son indignation focalisée et ses poèmes surannés évoquaient un monde angélique, mais pavaient la route, certainement sans qu’il le voulût lui-même, aux véritables criminels tapis derrière l’enfer des bonnes intentions », est infâme. Alors que Stéphane Hessel a représenté ce qu’il y a de plus noble dans l’histoire et la culture juives, Richard Prasquier et ses acolytes du Crif se sont fait les apologues de tout ce qui, dans la politique coloniale de l’État d’Israël, ferait rougir de honte les grands révoltés de cette histoire, de Baruch Spinoza à Marek Edelman.

À la fois homme d’action et intellectuel, grand résistant et poète, diplomate et militant, Stéphane Hessel a été non seulement la conscience du XXe siecle, mais aussi la conscience juive dans ce qu’elle avait de meilleur.

Société
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