Un pape sous surveillance

Martine Sevegrand  • 28 mars 2013 abonné·es

L’élection d’un pape, c’est d’abord du grand folklore, avec plus d’une centaine de cardinaux en soutane rouge, avec un rochet blanc en dentelle et, par-dessus encore, la mozette rouge et la croix apostolique [^2], des gardes avec hallebardes et en costumes de la Renaissance, des décors baroques et, en prime, des chants en latin, des foules et des fumées noires puis une blanche. Le pape François est, bien sûr, un conservateur, comme tous les cardinaux qui l’ont élu ; en Argentine, il a pris la tête d’une véritable croisade contre l’avortement et le mariage gay. Mais, en soulignant ses goûts simples et son attention aux pauvres, les médias soignent sa popularité, en particulier en Italie.

Pourtant, son attitude pendant la dictature militaire argentine est accablante : il s’est tu, comme toute la hiérarchie catholique argentine, alors qu’un épiscopat comme celui du Brésil a pris parti en faveur des opprimés. Pire : comme provincial des jésuites, il a combattu ses subordonnés engagés dans les combats concrets, au nom d’une théologie de la libération suspectée de marxisme [^3]. Il est d’ailleurs accusé d’avoir abandonné deux jésuites au pouvoir militaire. On s’explique ainsi que Jean-Paul II le nomme, en 1992, évêque auxiliaire de Buenos Aires puis, en 2001, lui accorde le chapeau de cardinal. Voilà pour le passé du cardinal Bergoglio. Et maintenant ? Du pape François – qui a 76 ans et un seul poumon –, on attend qu’il fasse ce que son prédécesseur n’a pas su réaliser : remettre de l’ordre dans le gouvernement central de l’Église, nettoyer les écuries du Vatican, que l’on a découvertes aussi sales que les écuries d’Augias, avec toutes les affaires de pédophilie que Jean-Paul II a laissé impunies, les trafics de la banque du Vatican et autres joyeusetés. Voudra-t-il aller plus loin et engager quelques réformes de fond devenues urgentes ? On peut en douter compte tenu, entre autres, de son âge.

Effondrement de la pratique religieuse et crise du clergé (depuis plus d’un demi-siècle) dans les pays occidentaux, disparition des intellectuels catholiques, recul du catholicisme en Amérique latine et en Afrique devant l’engouement pour les églises évangéliques, nomination systématique d’évêques conservateurs, voire rétrogrades, crispation sur une morale sexuelle incomprise de la plupart des fidèles et sur des dogmes considérés comme immuables : le constat est accablant. Au cours de leurs longs débats avant et pendant le conclave, les cardinaux ont-ils pris la mesure de l’urgence des réformes que les deux papes polonais et allemand ont bloquées avec tant de persévérance ? Mais, au cas où François s’aviserait d’entamer quelque réforme, le démissionnaire est là ! Il faut souligner, en effet, que le « pape émérite » va s’installer dans un monastère, mais dans l’enceinte du minuscule Vatican (4,4 hectares). La presse ignorait ce petit « détail » quand elle a salué le courage et l’audace de Benoît XVI annonçant sa démission. De surcroît, Mgr Georg Gaenswein [^4], secrétaire particulier de Benoît XVI (qui l’accompagnera dans sa retraite), récemment nommé préfet de la Maison pontificale, le restera. Sa fonction étant de préparer les audiences publiques mais aussi privées du nouveau pape, Mgr Gaenswein recueillera nombre d’informations qu’il pourra transmettre à son patron, le pape émérite. Ce dernier n’a d’ailleurs pas l’intention de rester cloîtré : il recevra des visiteurs et donnera évidemment des conseils.

Ce n’est pas tout. Alors qu’il avait annoncé sa démission le 11 février pour la rendre effective le 28, Benoît XVI nommait, le 15, à la tête de la banque du Vatican, un industriel allemand, Ernst von Freyberg, chevalier de l’Ordre de Malte et constructeur de navires de guerre… Ces décisions, qu’on peut qualifier de perverses, démontrent la volonté du vieux pape de ne pas renoncer totalement au pouvoir, du moins de contrôler, jusqu’à son dernier souffle, les décisions en matière doctrinale. Aujourd’hui, l’Église catholique est à bout de souffle et menacée de devenir, malgré ses fastes et grands rassemblements, un petit monde clos, dérivant vers la secte. Le nouveau pape, moins caricatural que son prédécesseur, ne fera pas illusion bien longtemps. 

[^2]: Le rochet est une sorte d’aube blanche en dentelle qui s’arrête aux genoux ; la mozette est une courte pèlerine boutonnée sur le devant.

[^3]: Le Monde du 15 mars n’hésite pas à écrire : « Le prélat s’est battu pour conserver l’unité des jésuites, taraudés par la théologie de la libération », avec la préoccupation d’éviter leur politisation. Pendant ces mêmes années, des dizaines de jésuites et des centaines de prêtres luttaient avec les pauvres, partout en Amérique latine, contre les dictatures et les oligarchies. Nombre d’entre eux l’ont payé de leur vie.

[^4]: Mgr Georg Gaenswein, 56 ans, un beau mâle athlétique aux yeux bleus, a fait, en janvier, la couverture du magazine italien Vanity Fair.

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