Irlande : avortement, le débat sans fin

Sujet récurrent depuis une vingtaine d’années, le débat sur l’avortement fait son retour en Irlande avec un projet de loi visant à autoriser une interruption de grossesse lorsque la vie de la mère est en danger.

Céline Loriou  • 7 mai 2013
Partager :
Irlande : avortement, le débat sans fin
© Photo : AFP / PETER MUHLY

L’Irlande est, avec Malte, le dernier pays de l’Union européenne à considérer l’avortement comme illégal. Dans ce pays toujours attaché aux valeurs catholiques, l’avortement est un crime passible d’emprisonnement à perpétuité (durée que le Premier ministre Enda Kenny entend abaisser à 14 ans). 

Le gouvernement vient de rouvrir timidement le débat la semaine dernière, avec une proposition de loi légalisant l’avortement lorsque la vie de la mère est en danger. Cette proposition fait suite à la mort d’une dentiste indienne, décédée d’une septicémie en octobre dernier après s’être vu refuser un avortement: Savita Halappanavar, 31 ans, avait demandé d’avorter pour éviter une fausse-couche, mais les médecins ont refusé tant que le cœur du fœtus battait encore, de peur d’aller à l’encontre de la loi. La mort de la jeune femme a provoqué des protestations au-delà des frontières irlandaises contre une législation jugée trop stricte.

Une enquête publique a conclu en avril dernier que la mort de Savita a été causée par un « aléa médical » . L’enquête signale plusieurs défaillances dans les soins administrés à la patiente tout en expliquant qu’aucun d’entre eux n’était, seul, responsable de sa mort. Plusieurs recommandations ont été faites au corps médical, la première demandant notamment au Conseil des Médecins de « définir clairement les situations selon lesquelles un médecin peut intervenir pour sauver la vie de la mère, ce qui enlèvera le doute et la peur au médecin et rassurera le public » .

Dublin, 17 novembre 202, manifestation en mémoire de Savita Halappanavar et pour le droit à l'avortement. - PETER MUHLY / AFP

Avec son projet de loi, le gouvernement cherche à faire appliquer une décision rendue par la Cour Suprême en 1992 qui autorisait l’avortement lorsque la vie de la mère était mise en danger par la grossesse. En absence de loi, femmes et personnel médical sont dans une situation de flou depuis plus de 20 ans, ne sachant pas clairement ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Selon le Premier ministre, le projet de loi va « clarifier les circonstances selon lesquelles un médecin peut intervenir lorsque la vie de la femme enceinte est en danger ».  

« Un droit constitutionnel déjà existant » 

Mais certains députés du parti au pouvoir, Fine Gael (centre-droit), ainsi que de nombreux militants « pro-life », ont déjà émis des réserves : ils s’opposent notamment à une mesure qui autoriserait l’avortement lorsque la femme est gravement dépressive, craignant que ce ne soit une porte ouverte à « l’avortement à la demande » . Le Premier ministre assure que le nouveau projet de loi ne fera que « garantir des droits constitutionnels déjà existants sans créer de nouveaux droits » , ni aller à l’encontre des différentes restrictions sur l’avortement.  

Un sondage Ipsos commissionné par le quotidien Irish Times en février 2013 montre que près des 3/4 des personnes interrogées sont en faveur d’une loi permettant l’avortement lorsque la vie de la mère est en danger (en incluant le risque de suicide). 11% sont contre tandis que 18% n’ont pas d’opinion sur la question. Le sondage montre aussi que l’avortement en cas de viol ou d’inceste ainsi qu’en cas d’anormalités du foetus est soutenu par près de 80% des répondants. En revanche, près de deux tiers des personnes interrogées sont contre « l’avortement sur demande ».

Pour la majorité des femmes souhaitant recourir à un avortement, la proposition de loi ne changera pas grand-chose puisqu’elle maintient l’interdiction en cas de viol, d’inceste, d’anomalies du fœtus ou de difficultés socio-économiques. Dans ces cas-là, la seule solution pour interrompre leur grossesse est d’aller ailleurs en Grande-Bretagne ou à l’étranger, lorsque les femmes en ont les moyens.  

Selon le Ministère de la Santé britannique, elles seraient plus de 4 000 Irlandaises à s’être rendues en Angleterre pour avorter en 2011. Au cours des 30 dernières années, elles seraient au moins 150 000.  Mais l’Association irlandaise pour le planning familial rappelle que ces chiffres restent des estimations puisque certaines femmes ne communiquent pas leur adresse irlandaise pour des raisons de confidentialité. 

Paradoxalement, le débat sur l’avortement a lieu alors que la légalisation du mariage entre personnes de même sexe s’apprête à devenir une réalité en Irlande. Une convention constitutionnelle composée de 66 citoyens et de 33 politiciens s’est prononcée à 79 % en faveur du mariage pour tous en avril dernier. Un référendum sera organisé en 2014, probablement après les élections locales et européennes.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don