Frédéric Pierru : « On choisit le recul de la solidarité »

Notre système de protection sociale est en danger, estime Frédéric Pierru, qui dénonce une politique de privatisation des soins.

Thierry Brun  • 13 juin 2013 abonné·es

Le 15 juin, des médecins manifesteront à Paris avec des syndicats, des collectifs de défense de l’hôpital et des partis de gauche – sans le PS – pour protester contre un démantèlement de la protection sociale. L’analyse de Frédéric Pierru.

Les organisateurs de la manifestation du 15 juin affirment qu’il est urgent d’agir pour le retour à une protection sociale accessible. Êtes-vous d’accord ?

Frédéric Pierru : La crise des finances sociales engendrée par la quasi-récession économique – elle-même causée, ne l’oublions pas, par l’explosion de la finance mondialisée – est finalement, du point de vue de certaines franges patronales et politiques, une formidable occasion d’imposer enfin des politiques publiques massivement impopulaires. C’est la fameuse « politique des caisses vides » initiée par Reagan et Thatcher. On voit bien que l’idée de recentrer la protection sociale sur celles et ceux qui « en ont le plus besoin », au nom d’une interprétation perverse du principe d’« égalité », et de transférer ce qui est rentable vers les assurances privées guide les prochaines réformes. Petit à petit, le périmètre des assurances sociales à vocation universelle, financées par du salaire socialisé, se rétrécit au profit du binôme « assistance pour les plus modestes » et « assurance privée pour les mieux intégrés sur un marché du travail mal en point ».

Notre santé est-elle en danger ?

Même si, pour l’instant, ce sont les allocations familiales et les retraites qui sont en ligne de mire, l’assurance maladie n’échappera pas à la stratégie du choc, à grands coups d’annonces dramatiques. On le voit bien avec l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier et le projet de généralisation de l’assurance complémentaire à tous les salariés du privé. Le gouvernement a fait le choix d’entériner le recul de la solidarité en ce qui concerne les soins courants, qui ne sont plus pris en charge qu’à hauteur d’un euro sur deux. Alors même que le PS avait mené la fronde lors de l’introduction des franchises médicales ! Comme sur d’autres postes, un esprit munichois souffle du point de vue social : les mesures de privatisation antérieures sont validées et on acte le fait que, pour accéder aux soins, il faudra de plus en plus avoir un contrat complémentaire. Le projet encore flou de bouclier sanitaire, visant à moduler les remboursements en fonction des revenus, est un étage de plus à la remise en cause d’une sécurité sociale égalitaire et solidaire.

La politique de privatisation est-elle toujours en œuvre ?

Tous les risques « rentables » d’un point de vue assurantiel – comme le petit risque maladie – sont progressivement transférés. L’État social devient de plus en plus un État « assistantiel ou résiduel », voulant concentrer ses interventions sur les franges les plus précaires ou exclues du marché du travail. C’est là le côté pervers de l’argument de la « justice sociale » : il sert à égaliser, mais vers le bas, les régimes de retraites et l’assurance maladie. C’est bien ce gouvernement socialiste qui va, du fait du pistolet sur la tempe posé par les marchés financiers et la Commission européenne, aller le plus loin dans le démantèlement de la protection sociale. En effet, si cela avait été un gouvernement de droite, les forces sociales auraient été vent debout. Là, les forces politiques et sociales progressistes sont comme anesthésiées, voire sommées de faire montre de solidarité. Je pense notamment au rôle délétère que jouent actuellement la Fédération nationale de la mutualité française  [qui regroupe la plupart des mutuelles de santé, NDLR] et la CFDT.

Santé
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