Egypte : un « coup d’Etat démocratique » ?

L’enthousiasme manifesté par les commentateurs envers la prise du pouvoir par l’armée laisse perplexe.

Denis Sieffert  • 4 juillet 2013
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Egypte : un « coup d’Etat démocratique » ?
© Photo : Adly Mansour, président par intérim, prête serment / KHALED DESOUKI / AFP

L’enthousiasme manifesté par nos commentateurs, mercredi soir, après que l’armée égyptienne eut déposé le président Mohamed Morsi, nous a laissé pour le moins perplexe.
Il existe bien dans l’histoire quelques exemples d’interventions militaires au service de la démocratie, voire de la révolution. Le plus fameux est évidemment le rôle joué par certains militaires dans la Révolution des œillets, en 1974, au Portugal. Mais la différence était de taille : le Mouvement des Forces Armées avait alors chassé du pouvoir le dictateur Marcelo Caetano, successeur de Salazar. En Egypte, c’est un président régulièrement élu qui est brusquement écarté.

Bien sûr, comme nous l’avons entendu à longueur de soirée sur « B-Télé » et « I-FM », nos petits CNN à nous, la gestion de cette année de présidence Morsi a été catastrophique, tant sur le plan social que du point de vue des mœurs. Mais s’il fallait que les militaires déposent tous les présidents élus qui ne respectent pas leurs promesses, nous aurions fort à faire, y compris dans nos régions. Bien sûr aussi, comme cela a beaucoup été dit, « la démocratie ne se résume par à une élection » . Mais si l’élection n’est pas une condition suffisante, elle est au moins une condition nécessaire. Ce qui ne sera pas le cas du pouvoir dit de transition installé par les militaires.

De plus, l’Egypte a une histoire contemporaine lourde dans ce domaine. N’est-elle pas sortie il y a à peine deux ans et demi de 58 années de pouvoir militaire ? On ne peut donc voir avec enthousiasme le retour aux affaires d’un général, même qualifié de « sympathique » par le directeur du Nouvel Observateur . C’est une chose de comprendre la liesse de cette partie de l’Egypte qui ne voulait pas tomber sous le joug d’un islamisme borné et conservateur, c’est autre chose de sauter de joie ici devant le spectacle de galonnés portés en triomphe place Tahrir.

L’Egypte des Frères musulmans ne va pas disparaître d’un seul coup. Elle est aussi constitutive de ce pays. Qu’adviendra-t-il si, à de prochaines élections, comme les militaires en promettent dans leur « feuille de route », les islamistes l’emportent encore ? A moins que l’idée soit de leur interdire toute expression politique, au risque de se rapprocher d’une situation que l’on a bien connue, hélas : l’Algérie des années 1990, avec l’interruption du processus électoral, et le début d’une guerre civile qui a fait deux cent mille morts. L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais nous avons au moins le devoir d’accueillir avec scepticisme cet étrange oxymore : un coup d’Etat démocratique.

La place Tahrir, le 3 juillet - KHALED DESOUKI / AFP

Monde
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