Nicolas Sarkozy, le candidat flambeur

Les « sages » ont rejeté le compte de campagne de Sarkozy pour dépassement du plafond de dépenses autorisé, absence de sincérité et financement irrégulier. Une décision qui fait date.

Michel Soudais  • 11 juillet 2013 abonné·es

Nicolas Sarkozy n’a pas tout à fait tort. En soulignant, le 4 juillet, dans un communiqué publié sur son compte Facebook, combien la décision du Conseil constitutionnel concernant le financement de sa campagne présidentielle crée une « situation inédite », l’ancien chef de l’État a pris la mesure de l’événement. Jusqu’ici, les « sages » du Palais-Royal s’étaient contenté de rejeter les comptes de campagne de deux candidats mineurs : Jacques Cheminade (1995) et Bruno Mégret (2002). En 1995, sous la houlette de Roland Dumas, ils avaient en revanche accepté ceux d’Édouard Balladur, malgré un versement en liquide aussi important que suspect. Cette mansuétude avait bénéficié à Jacques Chirac, qui, cette même année, avait également explosé le plafond des dépenses autorisé. Mais Nicolas Sarkozy a totalement tort de s’offusquer de la situation qui lui est faite et qui, par ricochet, menace l’UMP de faillite (voir encadré). D’abord parce qu’il est inexact de prétendre que les « sages » ont fait une « exception » pour l’UMP, menaçant le « pluralisme ». En l’espèce, le Conseil constitutionnel, dont la composition doit beaucoup aux nominations de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et de leurs amis politiques, n’a fait qu’appliquer la loi dans toute sa rigueur. Et sa sévérité. Nombre de candidats aux élections législatives de tout bord en ont fait l’expérience. Avec à la clé l’annulation de leur élection éventuelle, et l’interdiction de se présenter pendant un an à une élection législative en cas de rejet de leurs comptes de campagne.

Ensuite parce que Nicolas Sarkozy a bénéficié des garanties d’une procédure contradictoire. Son compte de campagne a été examiné par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui l’a rejeté le 19 décembre 2012 après l’avoir réformé. Le candidat a fait appel de cette décision auprès du Conseil constitutionnel, qui a longuement instruit le dossier, refait les calculs en tenant compte des explications de la CNCCFP et des objections du candidat Sarkozy et de son trésorier de campagne. Avant de fonder sa décision sur trois motifs. Le premier porte sur un dépassement du plafond de dépenses autorisé. Après intégration de dépenses oubliées, celui-ci excède de 466 118 euros, soit 2,1 %, le plafond autorisé, dont le montant était fixé, pour ce scrutin, à 22 509 000 euros pour les candidats figurant au second tour. Nicolas Sarkozy juge la sanction disproportionnée : « Pour un dépassement, que nous avons contesté (…) de 2,1 % du compte de campagne, s’applique une sanction de 100 %, soit 11 millions d’euros. » L’argument pourrait s’entendre – un aménagement de la loi, voté en 2011, prévoit de sanctionner les dépassements d’un non-remboursement partiel – si la CNCCFP et les juges constitutionnels n’avaient formulé sur ses comptes d’autres critiques. Car le second motif pointé par les « sages » porte sur l’absence de sincérité des comptes présentés. Ceux-ci affichaient des dépenses pour un montant de 21,3 millions d’euros. Après intégration de frais de campagne oubliés ou sous-évalués, la facture s’élève à près de 23 millions d’euros. L’insincérité porte donc sur 7,7 %, soit plus de 1,6 million d’euros. Une broutille ? Certes non, puisque l’objectif de ces dépenses cachées étaient de faire croire à un respect du plafond des dépenses autorisé.

L’annonce du non-remboursement forfaitaire de l’État tombe mal pour l’UMP. Après la perte de 120 députés l’an dernier, le parti sarkozyste a dû revoir à la baisse son budget : de l’ordre de 54 millions d’euros lors de la précédente mandature, celui-ci n’est plus que de 35 millions d’euros. La principale perte de revenu vient de la dotation publique qui a chuté de 35 à 21 millions d’euros. Du coup, l’UMP a dû réduire la voilure dans tous les domaines. Le mouvement, qui comptait plus de cent permanents, s’est séparé d’une cinquantaine de CDD, afin d’économiser 3 millions sur la masse salariale. Les organisations d’événements ont été réduites. Les frais de réunion, de réception, de transport ou d’hôtel sont rognés. La cotisation des élus est passée de 3 % à 5 %… Malgré ces efforts, l’UMP, endettée pour 44 millions d’euros, notamment du fait de l’achat de son siège (40 millions d’euros) en 2011, ne prévoit un retour à l’équilibre qu’en 2016. Dans ce contexte, les 11 millions d’euros supplémentaires à trouver d’ici au 31 juillet menacent tout bonnement de faillite le parti conquis par Jean-François Copé.

Enfin, le troisième motif de la décision du Conseil constitutionnel porte sur un financement irrégulier de la campagne Sarkozy. Un meeting présidentiel au moins, celui de Toulon, le 1er décembre 2011, soit plus de deux mois avant que Nicolas Sarkozy ne se déclare officiellement candidat, revêt pour les « sages » un caractère électoral. Vu « l’ampleur du public convié » et les « moyens de communication déployés », le règlement de cette dépense par l’État, pour un montant de 155 715 euros, constitue à leurs yeux une infraction au Code électoral. Que le candidat ne pouvait ignorer. « L’équipe de Nicolas Sarkozy était parfaitement au courant de toutes les règles : nous les lui avons rappelées à plusieurs reprises », a déclaré le président de la CNCCFP, François Logerot, le 5 juillet sur France Info. Deux ténors de l’UMP, au moins, ne le contestent pas. Interrogés dans l’Opinion  (7 juillet), ils ne sont nullement surpris du rejet du compte de campagne de leur candidat. « Il y a eu beaucoup trop de légèretés ; je ne vois pas comment cela pouvait se passer autrement », note Thierry Mariani. Secrétaire national adjoint de l’UMP lors de la campagne, Hervé Novelli assure qu’il avait « prévenu que la clé de répartition prévue pour le meeting de Villepinte ne passerait jamais ». Pour minimiser les frais de cet énorme rassemblement, le 11 mars 2012, raconte-t-il, l’équipe de campagne avait trouvé une « astuce »  : organiser le matin sur le même lieu un conseil national extraordinaire de l’UMP (800 personnes) avec prises de parole des principaux dirigeants, afin de faire payer par le parti la moitié du coût du meeting (50 000 personnes). La ficelle était un peu grosse.

Le Conseil constitutionnel a toutefois fait preuve de mansuétude en estimant à 5 000 le public de la réunion « interne » et en laissant 20 % du coût de ce rassemblement à l’UMP. Ils ont également refusé de réintégrer dans les dépenses plusieurs centaines de milliers d’euros de sondages payés par l’Élysée et donc le contribuable. Ce qui laisse toutefois entrevoir que la facture réelle de la campagne de Nicolas Sarkozy est vraisemblablement encore sous-estimée. Le prix de la politique spectacle se laisse difficilement évaluer.

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