« Je ne vois pas ce qu’on peut faire… »

Que pensent les Français d’une intervention militaire en Syrie ? Propos recueillis dans les quartiers populaires de l’Est parisien.

Olivier Doubre  et  Nicolas Salvi  • 12 septembre 2013 abonné·es

Àla veille de l’ouverture du G 20 à Saint-Pétersbourg, le quartier de Belleville est surtout préoccupé par la rentrée scolaire. Néanmoins, lorsqu’on les interroge sur le conflit en Syrie, les gens ont visiblement envie de parler. Un groupe de retraités nous répond volontiers. « Dédé », 78 ans, ancien typographe, se demande : « Pourquoi on n’envoie pas un bon commando d’agents bien entraînés pour régler son compte à ce salaud de Bachar ? » Avant toutefois de soupirer : « Mais c’est vrai qu’ensuite il y a le risque que les islamistes prennent le pouvoir… » Son ami Guy [^2], comptable à la retraite, doute encore plus du bien-fondé d’une intervention militaire à laquelle la France prendrait part : « Assad est un assassin, mais, sur cette histoire d’armes chimiques, j’avoue que je comprends mal pourquoi il aurait gazé sa population alors qu’il a une armée puissante qui est en train de remporter des victoires sur le terrain. En tout cas, c’est sûr que c’est une vraie connerie d’y aller. Ça va être l’embrasement… » Un peu plus loin, à l’entrée du métro Couronnes, des hommes d’origine algérienne, la quarantaine, discutent. L’un d’eux, Mahmoud, chauffeur de taxi kabyle, s’apprête à démarrer son service. Comme les autres, il s’oppose à une intervention militaire. « Si on veut réagir au nom des droits de l’homme, alors il faut faire la chasse à tous les dictateurs. Si la France et les États-Unis y vont, c’est par intérêt. Et ce sera la pagaille ensuite. Comme en Irak. À la fin, c’est le peuple syrien qui trinquera. Et puis c’est beaucoup trop risqué pour la région, mais aussi pour nous : si on attaque Bachar, on ne sera pas tranquilles, il pourrait faire péter des bombes à Paris. »

Majid, animateur socioculturel et militant associatif, reconnaît que « les images d’enfants morts vues à la télé ces jours-ci sont révoltantes ». Il reste qu’il se méfie de ce que racontent les médias. « Je ne sais pas ce qui se passe précisément là-bas, je n’y suis jamais allé. Mais si intervenir revient à aider les islamistes, alors non merci ! Quand certains jeunes de ce quartier, endoctrinés, partaient prétendument faire le jihad en Afghanistan, on les mettait en prison. Aujourd’hui, on va aller les aider ? Je ne comprends pas. Si la France et les États-Unis y vont, c’est qu’ils ont des intérêts bien précis ! » Un homme s’est approché. Il est serbe, âgé de 28 ans. Installé depuis trois ans en France, il travaille sur des chantiers. « Chacun devrait régler ses problèmes. Je me souviens des bombardements de l’Otan sur Belgrade. On disait : “des frappes chirurgicales”, et ça devait durer trois jours. Cela a duré soixante-seize jours. Les bombardements ont même touché un hôpital ! » À la mi-journée, c’est la sortie du lycée Voltaire, non loin du Père-Lachaise. Les jeunes semblent moins prudents. Nina et Lola, en première S, s’enflamment : « On a vu les infos à la télé, c’est terrible ! Tous ces morts… Mais je ne vois pas trop ce qu’on pourrait faire, à part encore plus foutre la merde. Envoyer l’armée ne va pas arranger les choses. C’est pas nos affaires, mais, en même temps, il y avait des corps partout ! » Mehdi, 16 ans, en seconde, est plus déterminé : « Il faut mettre un terme à ce conflit rapidement. Ce n’est pas normal qu’un peuple se fasse massacrer comme ça. Bien sûr, après l’Afghanistan et l’Irak, je comprends qu’on ait peur de s’embourber et de perdre beaucoup de soldats. Mais là, faut y aller. Si ça nous arrivait, on aimerait bien que quelqu’un vienne à notre secours ! » À côté, Lila renchérit : « Ce qui se passe est hallucinant ! Même si c’est très compliqué, il faut intervenir, et vite. Il y a déjà eu assez de morts, ça suffit ! »

[^2]: La plupart des personnes ont accepté de nous répondre à la condition que leurs prénoms soient modifiés.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Ambitions internationales et continentales : l’avenir de l’Algérie se joue aujourd’hui
Monde 25 avril 2025

Ambitions internationales et continentales : l’avenir de l’Algérie se joue aujourd’hui

Comment se positionne l’Algérie dans la recomposition du monde ? Comme de nombreux pays européens et africains, avec ses forces et ses faiblesses, l’Algérie cherche sa place.
Par Pablo Pillaud-Vivien
En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba »
Reportage 23 avril 2025 abonné·es

En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba »

Depuis le début de la guerre, les raids de l’armée israélienne s’intensifient dans le nord du territoire occupé. Dans les camps de réfugiés palestiniens de Jénine et Tulkarem, près de 50 000 personnes ont été poussées hors de leurs maisons, sans possibilité de retour. À Naplouse, les habitants craignent de subir le même sort.
Par Louis Witter
« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »
Entretien 23 avril 2025 abonné·es

« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »

Le député communiste de la Knesset Ofer Cassif revient sur l’annexion de la Cisjordanie, le génocide à Gaza et l’évolution de la société israélienne.
Par Louis Witter
L’État binational, une idée juive
Analyse 23 avril 2025 abonné·es

L’État binational, une idée juive

L’idée d’un État commun a été défendue dès 1925, par l’organisation Brit Shalom et par des prestigieux penseurs juifs, avant de s’évanouir au profit d’une solution à deux États. Mais cette dernière piste est devenue « impraticable » au regard de la violente colonisation perpétrée à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés aujourd’hui. Quelle autre solution reste-t-il ?
Par Denis Sieffert