Impôt : « Des chantiers trop longtemps différés »

Selon Vincent Drezet, la concertation autour de la fiscalité devrait être l’occasion pour le gouvernement de tenir enfin ses promesses, et pourquoi pas d’aller plus loin en luttant contre la fraude.

Thierry Brun  • 28 novembre 2013 abonné·es

V incent Drezet faisait partie de la délégation de l’Union syndicale Solidaires, invitée à Matignon pour plancher sur le système fiscal avec les délégations syndicales et patronales. Il estime que cette remise à plat fiscale ne pourra pas faire l’économie d’un véritable débat public, prenant en compte non seulement l’impôt sur le revenu mais aussi la fiscalité des entreprises, l’imposition du patrimoine et la nécessaire modernisation de la fiscalité locale.

Que pensez-vous de la méthode et de la période fixée pour ce débat ?

Vincent Drezet : On peut faire deux commentaires à ce stade. Tout d’abord, l’annonce est tardive : le besoin de réformer profondément la fiscalité est réel, il est ancien, et c’est d’ailleurs l’absence de réforme la rendant plus juste, plus simple et plus stable qui est l’une des causes du « ras-le-bol » fiscal actuel. Le début du quinquennat semble de ce point de vue une occasion loupée. Car, aujourd’hui, et c’est mon second commentaire, la période est très tendue, et on peut craindre que cette annonce ne soit pas légitimée dans l’opinion. Ce qui obérerait gravement ses chances de réussite. Cependant, mieux vaut tard que jamais, même si les circonstances sont difficiles et que nous attendons désormais une orientation, des précisions en termes de méthode et, surtout, un vrai débat public qui pose les questions de fond. C’est à ce prix que l’on renforcera le consentement à l’impôt et que la démarche prendra du sens. En clair, tout commence !

Ne peut-on craindre que l’ambition ne soit pas à la hauteur du discours autour du fameux « ras-le-bol » fiscal ?

Une mise à plat ne peut a priori écarter aucune piste, car les enjeux sont multiples : fiscalité des particuliers, des entreprises, des revenus, du patrimoine, nationale et locale. Tout ne peut se faire en un jour, mais nous avons là l’occasion de dresser un état des lieux et d’engager un processus de refonte. Il faut la saisir, c’est une nécessité. Faute de quoi, l’annonce sera ressentie comme une énième promesse politique non tenue, ce qui serait dévastateur dans le contexte actuel de crise des institutions, d’affaiblissement du consentement à l’impôt, de repli sur soi et de perte de repères politiques, économiques et sociaux.

Une refonte complète de l’impôt sur le revenu, accompagnée d’une révision des niches fiscales, est-elle nécessaire et suffisante ?

Ce serait en tout cas un bon premier point, si toutefois cette réforme s’accompagne, d’une part, d’une progressivité régulière et d’un élargissement de l’assiette, et si, d’autre part, cet impôt est socialement accepté. Cela suppose de la pédagogie, une grille de lecture simple et une volonté infaillible, ne serait-ce que pour faire face aux inévitables pressions de ceux qui défendront tel ou tel acquis fiscal. Par ailleurs, au-delà de l’impôt sur le revenu, la mise à plat et le rééquilibrage doivent également concerner l’imposition des sociétés, car le déséquilibre entre les taux d’imposition des PME et ceux des grands groupes ne sont pas justifiés et ne peuvent perdurer. La fiscalité du patrimoine doit également être rééquilibrée, avec là aussi un élargissement de l’assiette et une refonte de la fiscalité de la détention du patrimoine et de sa transmission. Enfin, n’oublions pas de revoir la fiscalité locale, qui est largement obsolète et de moins en moins légitime aux yeux des citoyens. Ces chantiers trop longtemps différés ne peuvent plus attendre, c’est aussi l’une des voies de la sortie de crise.

Le gouvernement donne-t-il des signaux forts en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, un des principaux facteurs du sentiment d’injustice fiscale ?

Il donne des signes, mais sont-ils suffisants ? C’est toute la question. La plupart des États, dont la France, ont réalisé que la fraude se développait, qu’elle coûtait cher, 60 à 80 milliards d’euros par an en France et 1 000 milliards d’euros pour l’Union européenne. Les conséquences économiques et sociales en sont graves. Les États voient dans la lutte contre la fraude la possibilité de dégager des ressources, mais il reste difficile de faire un vrai saut qualitatif au plan international, compte tenu de l’environnement de concurrence fiscale et sociale qui a été théorisé et voulu par les institutions internationales. Au plan national, si certaines annonces sont intéressantes, le décalage avec la réalité de la fraude mais aussi avec les moyens mis en œuvre est patent : la loi « anti-fraude » est votée, mais l’administration fiscale ne rembourse pas les dépenses engagées par les vérificateurs dans leurs déplacements professionnels ! C’est un détail, certes, mais révélateur de certaines contradictions : vouloir lutter contre la fraude, c’est aussi se donner le maximum de chances, donc de moyens humains, matériels, budgétaires et juridiques de le faire. De ce point de vue, entre les mesures et la réalité du contrôle fiscal au quotidien, il y a encore du chemin à parcourir.

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