Immunité de Dassault : deux sénateurs de gauche mentent

Michel Soudais  • 10 janvier 2014 abonné·es

Illustration - Immunité de Dassault : deux sénateurs de gauche mentent

Nous avons été un peu vite en besogne en suggérant, hier, qu’Alain Anziani pouvait être le sénateur socialiste responsable du maintien de l’immunité parlementaire de Serge Dassault. L’élu nous demande, via Twitter, de publier son démenti. Ce que nous faisons d’autant plus volontiers qu’il se prononce pour la suppression de cet « archaïsme » . Rien ne justifie, écrit-il, « qu’un élu soupçonné d’un trafic d’influence ou d’un détournement de fonds dispose d’une protection différente du citoyen ordinaire » . Dont acte.

LIRE l’intégralité du démenti d’Alain Anziani

POUR OU CONTRE L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE ?

Mercredi, une majorité de membres du bureau du Sénat, précisément treize d’entre eux contre douze et une abstention, a décidé de ne pas lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault.

Ce refus a provoqué une onde de choc aisément compréhensible. Il a également déclenché des vagues de délations. Qui donc à gauche a voté avec la droite pour protéger Serge Dassault ?

Les réseaux sociaux ont la justice expéditive. Des internautes qui ne vous connaissent pas, ne cherchent pas à vous connaître, à regarder, par exemple, si vous êtes pour ou contre l’immunité parlementaire, portent sur vous des jugements remplis de certitude. Le raisonnement se contente de simples juxtapositions : Alain ANZIANI est un élu de Mérignac, à Mérignac, il y a une usine DASSAULT, donc, Alain ANZIANI est suspect, et même, comme j’ai pu le lire, le suspect n°1. Qu’importe les témoignages qui montrent mon engagement en faveur de la levée de l’immunité… Des centaines de tweets et de mails, des articles avec ma photo dans la presse numérique sont lancés dans les airs… Ce scandale dans le scandale méritait bien ce petit commentaire.

L’essentiel est ailleurs. Disons-le nettement : l’immunité dont bénéficient les parlementaires est un archaïsme qu’il convient de supprimer. Dès septembre dernier, dans un article publié par la revue Pouvoirs , je faisais observer qu’« un Parlement rénové devrait supprimer l’immunité dès lors que l’acte concerné n’a pas un lien strict avec l’exercice du mandat parlementaire ou avec la liberté d’expression ».

Dans notre État de droit, rien ne justifie le maintien de l’immunité parlementaire. Historiquement, cette dernière avait pour but d’assurer l’indépendance du parlementaire, menacée par un régime dictatorial. Aujourd’hui, comment expliquer qu’un élu soupçonné d’un trafic d’influence ou d’un détournement de fonds dispose d’une protection différente du citoyen ordinaire ?

Jusqu’ici, le Sénat l’avait bien compris en levant l’immunité de Gaston Flosse, de Robert Navarro ou de Jean-Noël Guérini. Il examinait si la demande était « sérieuse, loyale et sincère ». Sans préjuger de la culpabilité ou de l’innocence. Ni se substituer au juge pour apprécier les mesures à prendre.

Hier, une majorité a pensé devoir prendre une position inverse sans qu’aucun motif évident de droit ou de fait permette d’expliquer cette différence de traitement. En particulier, la demande de mise en garde à vue, formulée par les juges d’instruction, était appuyée par des magistrats du parquet dont l’indépendance à l’égard du pouvoir en place est admise par tous.

Cette étrange majorité du Sénat donne ainsi le triste sentiment de vouloir placer un obstacle corporatiste entre la justice et un parlementaire. Ou, pour parler plus directement, d’entraver le travail de la justice.

Elle n’a pas perçu qu’elle commettait une faute majeure contre le Sénat, dont la suppression vient d’être demandée par Marine Le Pen, et contre les parlementaires accusés d’organiser leur propre justice.

(Source: Blog d’Alain Anziani)

Reste que le brouillard qui entoure ce vote ne fait que s’épaissir , entachant un peu plus l’image d’un Sénat perçu à raison comme une anomalie démocratique, et faisant douter des vertus de la démocratie représentative. Les douze élus de droite qui siègent au bureau du Sénat invoquent « le secret du vote »… quand ils acceptent de répondre. À supposer (l’hypothèse est hautement probable) qu’ils aient fait corps pour protéger leur collègue Dassault, un élu de la majorité sénatoriale, réputée « de gauche », a forcément voté contre la levée de l’immunité parlementaire de l’avionneur, un autre s’étant abstenu. Or à en croire les déclarations des quatorze élus[^2] membres des groupes communiste, socialiste, EELV ou RDSE faites auprès de divers médias et recensées sur le tumblr Qui a sauvé Dassault ?, tous auraient voté en faveur de la levée de l’immunité du sénateur de l’Essonne.
Mais les faits sont têtus : mercredi, la demande de levée de l’immunité parlementaire de l’industriel UMP, dans le cadre d’une enquête sur des achats présumés de votes à Corbeil-Essonnes, a recueilli 12 « pour », 13 « contre » et une abstention.

Il y a donc deux menteurs parmi les quatorze élus de gauche. Et ceux nombreux qui cherchent à savoir qui a voté quoi ne se livrent à aucune « chasse aux sorcières » ou « délation » . Ils ne font que réclamer la publicité du vote, publicité qui est au fondement de toute démocratie représentative et sans laquelle la responsabilité des élus ne peut être sanctionnée, positivement ou négativement, par les électeurs dont ils détiennent leur mandat.
Un lecteur conteste ce point de vue dans un commentaire laissé sur Facebook :
« L es votes concernant les personnes (élection d’un maire par le conseil municipal ou tout autre président d’assemblée ou tout représentant d’une collectivité dans une commission extérieure) se déroulent à bulletin secret, sauf accord des candidats et unanimité des votants , écrit-il. Il en va de même pour les destitutions. Les autres délibérations sont, elles, transparentes. »

C’est effectivement ce qui se passe trop souvent , et c’est profondément regrettable. En septembre 2009, il a par exemple été ainsi impossible de savoir qui avait voté l’investiture de José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne, notamment au sein du groupe des socialistes européens, alors que ceux-ci avaient été élus à l’issue d’une campagne au cours de laquelle ils s’étaient engagés à ne pas réélire Barroso. Les votes concernant les personnes sont aussi des scrutins politiques.
La plus célèbre destitution de notre histoire politique, le procès de Louis XVI, a fait l’objet de quatre votes. Tous publics. Avant cet épisode, une autre destitution, pour ou contre le veto royal, avait fait l’objet d’un scrutin public, le 11 septembre 1789. De ce scrutin date la naissance du clivage entre la droite et la gauche.

[^2]: Parmi lesquels Jacques Gillot, dont nous notions hier qu’il n’avait pas encore daigné répondre aux interpellations sur son vote.

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