Adonis et les révolutions arabes

Le poète d’origine syrienne nous livre ses réflexions sur la tragédie que vit son pays.

Denis Sieffert  • 27 février 2014 abonné·es

Que pense Adonis de la tragédie qui ensanglante la Syrie ? Que dit-il, plus généralement, des « printemps arabes », puisque c’est sous ce titre un peu anachronique que paraît, aux Éditions de la Différence, un recueil d’articles parus depuis mars 2011 ?

À première vue, Ali Ahmad Said Asbar – c’est son vrai nom – renvoie dos à dos régime et opposants. Mais nous ne sommes pas là face à cette recherche de symétrie détestable qui envahit depuis plusieurs mois les médias (vous savez, les « exactions commises de part et d’autre » ), qui tient lieu d’objectivité journalistique. Au fil des pages, le poète nous invite à une réflexion plus profonde sur le rapport entre « religion et révolution ». Un chapitre de ce livre résume finalement assez bien sa pensée : « Les révolutions naissantes ne font pas mourir les régimes établis ». Il faut entendre par là qu’il ne peut y avoir de révolution victorieuse si le socle idéologique, et en l’occurrence religieux, demeure le même. Le tyran peut tomber, mais il sera remplacé par un régime de même essence. Pour Adonis, « la lecture du parti “Baas” de la réalité arabe est presque une lecture religieuse et patrimoniale », mais « toute lecture religieuse à son tour est quasiment “baasiste” ». Philosophiquement juste, la sentence est politiquement discutable en ce qu’elle fait appel à des catégories abstraites. Il n’y a peut-être pas qu’une seule « lecture religieuse ». Quoi qu’il en soit, le poète, aujourd’hui âgé de 84 ans, ne dissimule pas derrière ce jugement un soutien déguisé au régime. Ce grand proscrit, contraint de quitter son pays en 1956 après avoir connu les prisons du régime, n’a pas de mots assez durs, et par conséquent assez justes, pour qualifier le parti Baas « qui s’est transformé inévitablement en parti fasciste et raciste ».

Adonis a aussi le mérite de réduire à néant un mythe bien ancré dans le récit occidental : celui d’un régime baasiste garant de la laïcité face au Jihad, alors qu’il a lui-même instrumentalisé les haines communautaires. Mais, chez Adonis, la critique radicale du fait religieux a aussi ses limites. « Je n’accepte jamais de participer à une manifestation qui part de la mosquée  […], écrit-il, ce n’est pas de la mosquée qu’il faut partir. » Là encore, on comprend la symbolique de la réflexion, mais la politique n’échappe pas au principe de réalité, et les Syriens partent de là où ils peuvent, physiquement et culturellement.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre