Le « parcours sportif » de la réforme territoriale

Les sénateurs communistes et radicaux, appuyés par l’UMP, usent de tous les moyens de procédure pour tenter de bloquer le projet de loi relatif à la délimitation des régions et au calendrier électoral.

Michel Soudais  • 3 juillet 2014
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Le « parcours sportif » de la réforme territoriale
© Illustration: Nouvelle carte des régions selon la commission spéciale du Sénat (Sce: [Public Sénat](http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/senat-redessine-une-carte-13-regions-rejette-texte-commission-597406))

Les amateurs de procédures parlementaires sont servis. L’examen du projet de réforme territoriale, contesté par une majorité du Sénat, connaît depuis une semaine un parcours chaotique peu banal. Ses opposants font preuve d’inventivité procédurière tandis que le gouvernement s’applique avec célérité à contrer tous les obstacles mis sur sa route. Dernier épisode de cette guérilla parlementaire : l’Assemblée nationale a rejeté hier soir vers 22 h 30 une motion référendaire de la Haute Assemblée, adoptée moins de trois heures auparavant. Elle menaçait de stopper les débats sur ce texte qui redécoupe les régions métropolitaines en les ramenant de 22 à 14 et reporte à décembre 2015 les élections régionales et cantonales de mars prochain. Or, pour obtenir le report des élections, le gouvernement doit impérativement faire adopter ce texte avant décembre ; la Constitution interdit en effet de modifier un scrutin moins d’un an avant sa tenue. Le socialiste Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France, avait prédit que ce projet de loi connaîtrait un « un parcours sportif » . C’est bien parti.

En application de l’ article 39 de la Constitution , ce texte, comme tous ceux ayant trait à l’organisation des collectivités territoriales, est d’abord soumis au Sénat, avant son examen à l’Assemblée nationale.

La nouvelle carte des régions dessinée par François Hollande.

Les premières manifestations de contestation se sont produites le 18 juin. Quelques heures après l’adoption du projet de loi en conseil des ministres, le Sénat décidait de renvoyer à une commission spéciale son examen. Ce même jour, la conférence des présidents du Sénat, instance qui regroupe les présidents des groupes politiques, décidait, en application de l’article 29, alinéa 6, du Règlement du Sénat, de s’opposer à l’engagement de la procédure accélérée sur ce texte. Une demande non suivie par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, réunie le 19 juin.

Le Sénat joue la montre

Premier coup de théâtre le 26 juin. Après s’être entendus pour modifier largement la carte, notamment avec la fusion Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin et Nord-Pas-de-Calais-Picardie, ramenant le nombre de régions à 13, les membres de la commission spéciale ont finalement rejeté ce jour-là le texte du gouvernement, par 16 voix contre 14. Mais la surprise vient, en fin d’après-midi, d’une décision de la conférence des présidents : les présidents des groupes UMP, RDSE (Rassemblement démocratique social et européen, à majorité PRG) et CRC (Communiste, républicain et citoyen) font valoir que le gouvernement a méconnu les règles de présentation d’un projet de loi en leur fournissant une étude d’impact  « défaillante »  ; ils obtiennent de saisir le Conseil constitutionnel sur ce point (article 39 de la Constitution). Dans l’attente d’une réponse de celui-ci, qui a huit jours pour se prononcer, le texte est retiré de l’ordre du jour.
Son examen en séance plénière, initialement prévu pour débuter le 1er juillet ne sera pas retardé trop longtemps. Mardi 30 juin, le Conseil constitutionnel jugeait la présentation du projet de loi « conforme » et, en réponse à un des points soulevés par le Sénat, indiquait dans son communiqué : « Il ne saurait en particulier ** être fait grief à cette étude d’impact de ne pas comporter de développements sur l’évolution du nombre des emplois publics dès lors que le gouvernement ne mentionne pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi. »

Second coup de théâtre le 1 er juillet. Les groupes CRC et RDSE déposent une motion tendant à proposer au président de la République de soumettre au référendum le projet de loi. Envoyée à la commission spéciale constituée pour examiner ce dernier, cette motion y reçoit un avis favorable à son adoption.
– Le premier effet de cette motion est de reporter à nouveau le débat sur le texte. Car, conformément à l’article 67, alinéa 2, du Règlement du Sénat, la discussion doit avoir lieu « dès la première séance publique suivant son dépôt » c’est-à-dire le 2 juillet, à 15 h, au moment où devait s’ouvrir la discussion sur le texte.
– Le second effet , espéré par les signataires de la motion référendaire, dépend du vote des sénateurs. En cas d’adoption d’une telle motion, la discussion du projet de loi est interrompue, conformément à l’article 68 du Règlement du Sénat, et la motion adoptée est transmise sans délai au président de l’Assemblée nationale accompagnée du texte auquel elle se rapporte.

Illustration - Le « parcours sportif » de la réforme territoriale

C’est exactement ce qui s’est produit hier après-midi. Après quatre heures de débat, la motion référendaire est adoptée par 174 voix contre 134 et 32 abstentions. Les communistes, les radicaux[^2] et l’UMP ont voté pour, les centristes se sont abstenus, les socialistes et les écologistes d’EELV ont voté contre (Voir le détail du vote.).

La « purge » passera avant la fin de l’été

L’Assemblée nationale refuse le référendum. Les députés avaient trente jours pour se prononcer sur la motion du Sénat, trois heures ont suffi pour qu’ils la rejettent. Après avoir expédié l’examen du projet de loi de finances rectificatif sur la Sécurité sociale (PLFRSS) en cinq séances [^3] et voté notamment le gel des retraites de plus de 1 200 euros, l’Assemblée nationale s’est penchée sans délai, hier soir, sur la motion sénatoriale. En moins d’une heure, et alors que les trois quarts des députés étaient absents, le référendum a été rejeté par 102 voix contre 27. Curieusement, à gauche, ni les radicaux (2 votants sur 16), ni les élus du Front de gauche (1 votant sur 10), à l’origine de la motion sénatoriale, ne s’étaient mobilisés (Voir le détail du vote).

Retour au Sénat du texte , dont l’examen revient à l’ordre du jour ce 3 juillet à 16h15. Soit avec deux jours de retard seulement sur le calendrier initial. Mais les sénateurs n’ont pas encore dit leur dernier mot. Le gouvernement non plus. Son secrétaire d’État à la Réforme territoriale, André Vallini, se montre peu inquiet de cet activisme. Les « différentes tentatives pour ralentir l’examen feront long feu » , a pronostiqué Manuel Valls hier. Le Premier ministre a rappelé que la nouvelle carte des régions devra avoir été examinée en première lecture au Sénat et à l’Asssemblée avant la fin de l’été. « Même s’il faut siéger le week-end, tout le mois de juillet ou tout le mois d’août, le Sénat adoptera de toute façon ce texte » , a-t-il déclaré, convaincu de parvenir au final à faire passer ce qui ressemble bien à une « purge ». Voilà qui promet.

[^2]: Parmi eux on trouve l’ancienne ministre déléguée aux collectivités de Jean-Marc Ayrault, Anne-Marie Escoffier (PRG).

[^3]: Le vote solennel est prévu mardi 8 juillet à 16h15

Politique
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