D’où le Medef tient-il son pouvoir ?

Si les gros adhérents détiennent l’essentiel de la puissance, les « PME de croissance » tentent de se faire entendre.

Ingrid Merckx  • 23 octobre 2014 abonné·es

«Un millefeuille ». Nom gourmand pour décrire ce qui, de l’extérieur, est souvent perçu comme un bloc. « Une con-con-confédération », résume aussi Michel Offerlé, sociologue qui a enquêté sur et au sein du Medef [^2]. Le Mouvement des entreprises de France réunit plus de 700 fédérations, entre 750 000 et 780 000 entreprises adhérentes, 70 % à 90 % d’entre elles comptant moins de 50 salariés. Pourquoi ces fourchettes ? « Le périmètre exact du Medef est difficile à définir, explique le sociologue. Le ministère du Travail ne possède pas de liste claire des syndicats patronaux – représentatifs ou non – et de leur affiliation confédérale. »

Certains salariés ignorent parfois que leur entreprise est adhérente, et certaines entreprises peuvent y adhérer à plusieurs titres. Quelques fédérations ne voient pas l’intérêt d’en être, comme le Syndicat national de l’édition, qui en a démissionné. Surtout, de grosses fédérations – banques, assurances, intérim, bâtiment, métallurgie – y pèsent nettement plus lourd que les autres, en nombre d’adhérents, en termes de budget annuel ou de rang de cotisation, l’Union des industries et métiers de la métallurgie en tête (UIMM). « Mais il s’agit presque plus de puissance que de pouvoir », commente Éric Verhaeghe. Localement, le Medef possède un réseau territorial très proche de « clubs » comme le Rotary. Quelle représentativité du patronat ? Quelle unité entre ses adhérents ? Quelle entente avec les deux autres syndicats patronaux que sont la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union professionnelle artisanale (UPA), et quelles convergences d’intérêts entre les petites et les grosses fédérations ? « Le Medef tient d’abord son pouvoir du législateur », tranche Éric Verhaeghe, ex-membre du Medef [^3], en renvoyant à la loi Larcher de 2004 sur le dialogue social – qui renforce la prépondérance patronale. Si le Mouvement des entreprises de France – créé le 27 octobre 1998 dans une opposition à la réduction du temps de travail – évolue vers une plus grande personnalisation de son dirigeant, « le président ne peut présider contre ses gros adhérents », souligne Éric Verhaeghe. En témoigne le conflit entre Laurence Parisot et l’UIMM en 2010.

Le fonctionnement se ferait plutôt « du bas vers le haut ». Mais il repose sur un système d’adhésions volontaires et non sur le principe du vote, comme pour les autres syndicats. Le Medef agit à la fois comme syndicat et comme lobby, son versant « culturel ». Ce qui ferait son unité, c’est sa doctrine interne : il défend un système de relations sociales tempérées, vision très XIXe selon laquelle on ne partage pas le pouvoir mais on doit bien traiter ses salariés. Autre élément de doctrine : si les entreprises sont en compétition, « on ne se fait pas concurrence sur la main-d’œuvre ». Enfin, mêmes grandes écoles (ENA, Polytechnique, Centrale, Mines, Ponts, Sciences Po, etc.), mêmes clubs (Rotary, Jockey Club, le Siècle…), mêmes sources d’inspiration (Institut Montaigne, Institut de l’entreprise, Cercle de l’industrie, Centre des jeunes dirigeants d’entreprises, mouvements féminins, Ethic, Croissance +…), le Medef alimente un esprit de caste. « Un patron reconnaît l’un des siens à une certaine façon de parler, ironise Éric Verhaeghe, une certaine façon d’écouter, une certaine façon de répondre, une certaine façon de penser, bien sûr, jusqu’au soin pris pour cirer ses chaussures ou choisir ses cravates. Mais la principale caractéristique du patron, celle que jamais je ne pourrai partager, et qui mériterait une analyse freudienne et lacanienne, est son art du tabou. » Pas de complot mais un « esprit de coterie ». Cette conscience de classe évolue-t-elle ? Lancé en septembre 2012 par des entrepreneurs de la high-tech, en marge d’un Medef « has been » qui snobe Dailymotion, YouTube ou les réseaux sociaux, le mouvement de défense des « pigeons » pourrait le laisser croire. Les défenseurs des « PME de croissance » seraient à la peine fiscale quand de grands groupes engouffrent des aides publiques alors qu’ils suppriment des emplois. Cherchez l’erreur !

[^2]: Les Patrons des patrons. Histoire du Medef , Michel Offerlé, éd. Odile Jacob, 2013.

[^3]: Au cœur du Medef. Chronique d’une fin annoncée , Éric Verhaeghe, Éd. Jacob-Duvernet, 2011.

Publié dans le dossier
Comment le Medef dirige la France
Temps de lecture : 4 minutes