Syriza sur le pied de guerre

À l’approche des élections du 25 janvier, le débat s’intensifie au sein de la gauche radicale entre le noyau historique et les partisans du compromis. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.

Angelique Kourounis  • 15 janvier 2015 abonné·es
Syriza sur le pied de guerre
© Photo : Wassilios Aswestopoulos / NurPhoto / AFP

Samedi 10 janvier, stade de Taekwondo dans la banlieue d’Athènes. On affiche complet. Sur un écran géant, trois mots : « Liberté, égalité, espoir ». Syriza doit ce soir décider des listes électorales, on n’a que deux jours pour les boucler et tous les militants sont là. Dans les gradins, les étudiants, qui sont de toutes les manifestations. Les purs et durs qui comme une claque rappellent avec leurs slogans que « l’heure n’est pas aux compromis et que le pouvoir est là ». Au centre, les militants plus âgés, des intellectuels, ceux qui vont plus tard apostropher leur président, Alexis Tsipras pour lui dire qu’ils sont venus « de loin, débattre du fond et pas uniquement applaudir son discours ». Sur les côtés, les drapeaux mauves des femmes de ménage licenciées du ministère des Finances qui battent le pavé depuis plus d’un an. Avec leurs gants de caoutchouc rouge, elles sont devenues malgré elles le symbole de la lutte contre l’austérité. Devant les tribunes, tous les cadres de Syriza venus applaudir Alexis Tsipras, et surtout afficher une unité tant fragile que difficile à maintenir. C’est que Syriza est un conglomérat de 13 petits partis et formations qui vont de l’extrême gauche au centre gauche en passant par différents mouvements citoyens. Cela fait deux ans qu’ils se sont structurés en un parti prêt à gouverner au cours d’un des congrès les plus houleux de son histoire. Cette réforme interne était la première concession historique de Syriza aux dures réalités de la gouvernance, son passage à l’âge adulte.

Syriza est désormais géré par un comité directeur de 19 membres, toutes tendances confondues. À ceux qui lui demandent comment il va faire pour gérer, Alexis Tsipras, serein, répond : « Je suis fier de cette opposition interne car elle est fondée sur la confiance. Ils me font confiance comme je leur fais confiance. » Peut-il faire autrement ? Certainement pas. D’où les sourires et les embrassades ce samedi soir. Il salue un à un ses cadres. Coïncidence, la disposition des sièges correspond à celles des positions dans le parti. À gauche, Alekos Alavanos, pas opposé à un retour à la drachme ni à une cessation immédiate du remboursement de la dette, et Sofia Sakorafa, qui a demandé un audit de la dette ; à droite, Rena Dourou. Élue préfète de l’Attique, elle a refusé de réembaucher les femmes de ménage licenciées, estimant que « cela doit entrer dans une politique plus générale de réembauche dans la fonction publique ». Chez le militant de base, c’est très mal passé. Un peu plus loin, George Stathakis, pressenti comme le futur argentier du pays. Le recentrage de Syriza, c’est lui, la Grèce dans l’euro envers et contre tous, c’est encore lui, le tour des capitales européennes pour rassurer les marchés, la visite de Tsipras à la City de Londres et au FMI à Washington, c’est toujours lui. L’aile gauche du parti le déteste et l’attend au tournant, peau de banane à la main. Son alter ego de l’aile dure, Yiannis Milios, qui faisait partie de ces voyages, a refusé de prendre part aux élections. La première manche est pour les « pragmatiques ». Passerelle entre ces deux tendances, Zoe Konstantopoulou, future ministre de la Justice. Celle qui tient la frange de l’extrême gauche. Si la situation n’a pas dérapé lors de la grève de la faim du jeune anarchiste Nikos Romanos, le mois dernier, c’est uniquement grâce à elle. À la tribune, « Alexis » galvanise la salle. Sûr de la victoire, il demande un vote massif pour avoir la majorité absolue au Parlement, « ce qui n’empêchera pas la formation d’une large coalition des forces progressistes du pays », précise-t-il dans un discours retransmis en direct par… Nerit, la télévision créée par Antonis Samaras, le Premier ministre conservateur qui a fermé la télévision publique grecque ERT.

Et, justement, Tsipras vient d’annoncer qu’il rouvrira ERT. Pour Manthos, la trentaine, informaticien au chômage, c’est le symbole de trop. « Vous voyez, confie-t-il dépité, en montrant l’écran géant avec le sigle Nerit, c’est la preuve qu’il a déjà pactisé avec le diable. Je ne voterai pas pour lui. » Pour beaucoup, le diable, c’est aussi ces alliances opérées pour remporter des circonscriptions déterminantes, comme celle du second arrondissement d’Athènes, où Odysseas Boudouris est candidat. Ex-député du Pasok, puis de la Dimar, la gauche démocratique, ce médecin roule désormais avec Syriza. « Mon patriotisme est vis-à-vis des électeurs, pas d’un parti qui change de ligne en cours de route », dit-il à ses détracteurs. La base et une grande partie des cadres le vomissent. « Que voulez-vous, confie un cadre sous couvert d’anonymat, jusqu’en 2009, Syriza faisait 4 %. Ces 4 % veulent maintenant se tailler des vestes. » C’est de bonne guerre, mais Alexis Tsipras aura-t-il le loisir de mener aussi cette guerre-là ?

Monde
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