La Pink Lady, marketing pur jus

Cette variété de pomme au nom séduisant a été calibrée comme un produit. On lui a même inventé une histoire.

Claude-Marie Vadrot  • 12 février 2015 abonné·es
La Pink Lady, marketing pur jus
© Photo : Science Photo Library / AFP

L’histoire aurait commencé en Australie, dans les années 1970, quand un certain John Cripps, présenté comme responsable d’un département des services agricoles de l’ouest du pays, aurait croisé un pommier Golden Delicious et un Lady Williams. Donnant naissance à la Pink Lady, qui colonise depuis les années 1980 les marchés de nombreux pays. Histoire au conditionnel qui relève plus de la légende et de la communication que d’une réalité : impossible de trouver la moindre trace, la moindre biographie de l’« inventeur » de cette pomme que les consommateurs retrouvent désormais presque partout.

Une pomme qui présente deux caractéristiques : d’abord, elle est plus chère que les autres ; ensuite, elle est protégée comme marque déposée. Laquelle est rappelée par le ® figurant sur le sticker collé sur chacun des fruits et sur toutes les publicités vantant ses qualités. Un brevetage du vivant qui interdit à tout arboriculteur, et même à un jardinier amateur, de la cultiver sans autorisation, c’est-à-dire sans payer de droits de reproduction à l’Apple and Pear Australian Limited, à l’International Pink Lady Alliance ou, pour l’Europe, à Pink Lady Europe, dont le siège se trouve à Orange, dans le Vaucluse. Les qualités organoleptiques de cette pomme louées par la publicité sont discutables, car, au-delà de la légende soigneusement entretenue, ceux qui l’ont améliorée pendant des années ont essentiellement travaillé sur sa couleur, son parfum et sa résistance à la conservation, son goût étant par définition « visible ». Loin du mythe décrivant le brave M. Cripps fertilisant ses deux pommiers avec un pinceau. L’effort a été porté sur sa grande capacité à absorber l’eau, ce qui explique que chaque fruit pèse au moins 200 grammes. Il ne s’agissait pas de faire une « bonne » mais une « belle » pomme, dont les moindres défauts sont traqués lors du tri après récolte. Plus sensible que d’autres à la tavelure et aux pucerons, ce fruit contraint les arboriculteurs à le protéger par de nombreux traitements chimiques afin de conserver son aspect parfait dans les gondoles.

Les promoteurs de la Pink Lady, mêlant ** astucieusement des structures associatives et des sociétés commerciales comme Star Fruits en France, ont choisi de susciter un engouement et une mode autour de leur produit. À grand renfort de campagnes publicitaires, de jeux et de concours, en collaboration avec Disney, à destination des enfants pour les inciter à réclamer la Pink Lady à leurs parents. On trouve également sur Internet des pages Facebook et une multitude de recettes complaisamment reproduites dans des hebdomadaires féminins. Sans oublier des reportages et des incitations à commenter la légende de sa création, sans fournir la moindre information sérieuse. En France et dans de nombreux pays, il existe même des clubs de fans de la Pink Lady : le premier a été lancé en 1992 en Grande-Bretagne. Un travail de communication minutieux, mené actuellement dans l’Hexagone par l’agence Protéines, dont les autres clients sont, entre autres, Pepsi-Cola, Unilever, Nutella ou une association européenne assurant la promotion des pesticides en agriculture. Cette dernière est présidée par Martin Dawkins, transfuge de Bayer, la multinationale chimique et pharmaceutique dont la réputation n’est plus à faire auprès des environnementalistes.

La pomme qui, selon son slogan, « cultive ses valeurs », est actuellement produite – seul mot qui convient à cet objet industriel – par 3 000 agriculteurs sous contrat, en Espagne, en Italie et en France. En 2014, 150 000 tonnes y ont été mises sur le marché, soit un accroissement de 23 % par rapport à l’année précédente, preuve d’une augmentation de la demande et de l’effet des puissantes campagnes de com. En France, 800 arboriculteurs sont engagés dans une production de quelque 100 000 tonnes. Les deux tiers sont exportés par bateaux, car, grâce à sa peau épaisse, la Pink Lady se conserve durablement (au moins un an) en perdant un minimum de poids. Des chiffres à manier avec précaution. En effet, tout en revendiquant une production mondiale de 40 millions de tonnes, les exploitants de la Pink Lady restent très mystérieux sur leur réseau de production et de commercialisation. Une « belle » réussite, due à une communication qui absorbe chaque année 5 % du budget de cette opération industrielle.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes