Il faut être quatre pour faire un enfant…

Deux pères, une mère porteuse et une donneuse d’ovocytes : Adrien, 9 mois, est né d’une GPA aux États-Unis.

Pauline Graulle  • 23 avril 2015 abonné·es
Il faut être quatre pour faire un enfant…
© Photo : Catherine Delahaye / Photononstop / AFP

C’est une histoire de rencontres. Celle de Serge et de Pierre, d’abord. Le premier, 48 ans aujourd’hui, prof de chimie, a déjà deux grandes filles d’un précédent mariage ; le second, 56 ans, travaille dans la finance et a un fils de 21 ans. Une histoire d’amour, un mariage à Toronto en 2010 (régularisé, trois ans plus tard, par la loi Taubira) et l’envie qui revient, « comme n’importe quel couple », de faire un enfant. L’adoption est envisagée, mais « aucun pays n’acceptant de faire adopter ses enfants par un couple homo, pointe Serge, il ne nous restait que la GPA » .

La GPA, Pierre connaît déjà. Son premier fils, il l’a eu en 1994, après un passage par l’Écosse. C’est sa mère qui lui a soufflé l’idée de se rendre outre-Manche pour prendre contact avec une « surrogate mother ». « C’était artisanal et un peu magique, se souvient Pierre. L’insémination s’est faite au domicile familial de l’Anglaise qui avait accepté de porter l’enfant parce qu’elle-même avait été aidée pour des problèmes de fertilité et qu’elle voulait rendre ce qu’elle avait reçu. Puis je suis allé au pub avec son mari pour fêter ça. » À peine 3 000 francs de dédommagement pour madame. Et un retour dans l’Hexagone sans encombres : « La France venait juste de légiférer contre la GPA, précise Pierre, mais au nom de l’intérêt de l’enfant, le juge a voulu que la transcription de l’acte de naissance de mon fils soit faite quand même. » Vingt ans plus tard, c’est désormais sur le Web que l’on échange ses retours d’expérience sur la GPA à travers le monde. Serge et Pierre optent pour les États-Unis : « Là-bas, la GPA coûte une fortune, mais on est sûr que ça se passe dans de bonnes conditions pour tout le monde. » Direction l’Oregon, un État où les mères porteuses passent par une évaluation psychologique, ne doivent pas dépendre des minima sociaux, avoir déjà un enfant, et être en couple stable. Serge et Pierre se rendent à l’agence qui les accompagnera : entretien psy, ouverture d’un compte spécifique pour le paiement des multiples frais (médicaux, d’assurances, et d’encadrement par l’agence)… Et rencontre de Shayla, deux enfants. Ce sera sa première grossesse pour une autre famille que la sienne.

L’étape du choix de l’ovocyte n’est pas des plus simples. Parmi les centaines de fiches de donneuses, Serge et Pierre optent non sans mal pour le profil « blonde, grande » –  « pour qu’il y ait quand même une ressemblance avec nous ». Un double don de sperme plus tard (nul ne sait au final lequel des deux est le père biologique), et l’aventure de la grossesse commence. Une aventure qui se partagera sur Skype – prix du billet d’avion oblige. Jusqu’au 25 juillet 2014 : tandis que Serge accompagne Shayla en salle de travail, Pierre, retenu en France, assiste à la naissance en live sur son iPad. « Elle a repris le boulot une semaine plus tard, s’étonne encore Serge. J’avais loué une maison pour m’occuper d’Adrien, elle venait de temps en temps apporter son lait. » Un repas d’adieu au restaurant, où « les gens dans la salle venaient féliciter Shayla de ce qu’elle avait fait pour nous », dit Pierre, pour souligner la différence avec ces Français qui n’osent pas adresser la parole au couple quand il se promène avec Adrien dans le landau. Puis c’est l’heure de la séparation : « Avec Shayla, on s’est pris dans les bras, en larmes. On ne savait pas comment la remercier », dit Serge, qui continue de lui envoyer les photos du petit chaque mois. « C’est étrange, parce qu’on ne la connaît presque pas, renchérit Pierre, et pourtant, cette femme nous est très proche. » C’est une fois le pied posé en France que les galères commencent. Un certificat de naissance américain où seuls les noms des deux pères apparaissent : l’administration en perd son latin. « La sous-préfecture, la CAF, la Sécu, le tribunal de Nantes… Tout le monde a mis de la mauvaise volonté », s’agace Serge, qui estime qu’en France « l’administration n’est pas au service des citoyens, mais d’une idéologie ». Obligée, depuis juin dernier, par la Cour européenne des droits de l’homme de transcrire à l’état civil les actes de naissance des enfants nés de mères porteuses américaines, la Chancellerie continue de traîner la patte… Pour l’heure, Adrien n’est toujours pas, en France, officiellement le fils de ses parents.

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