Irène Théry : « La relation est au cœur du processus de la GPA »

Partisane d’une GPA éthique, Irène Théry invite à s’inspirer des législations et des pratiques existantes.

Ingrid Merckx  • 23 avril 2015 abonné·es
Irène Théry : « La relation est au cœur du processus de la GPA »
© **Irène Théry** est sociologue, directrice d’études à l’EHESS. Photo : The Times of India / Sanjeev Rastogi

Irène Théry a présidé le groupe de travail « Filiation, origines, parentalités » missionné par l’ex-ministre déléguée à la Famille, Dominique Bertinotti, rendu public le 9 avril 2014, et qui préconisait l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et la reconnaissance des enfants issus d’une GPA à l’étranger.

Vous êtes considérée comme la tête de file d’un courant « pro GPA ». Qui rassemble-t-il ?

Irène Théry : Il n’y a pas de courant « pro-GPA » en tant que tel… Je suis favorable à une GPA éthique : elle existe, je l’ai rencontrée. Mais je combats toute GPA instrumentale où on traite la femme « comme un moyen ». Le rapport que nous avons remis au gouvernement demande que la France rejoigne les pays qui, dans le cadre de la Convention de La Haye, commencent à organiser une lutte internationale contre toutes les formes de « trafics de ventres ». Notre courant est pragmatique : il rassemble des personnes qui, d’abord plutôt dubitatives sur la GPA, ont été chamboulées par la réalité humaine, parfois magnifique, qu’elles ont rencontrée. Pour nous, le respect des gestatrices, c’est aller les voir, les écouter, apprendre de leur expérience et non parler à leur place.

Pourrait-il y avoir une conception française de la GPA ?

Il faut opposer des pratiques et non des pays. Aux États-Unis ou au Canada, il existe des législations de la GPA respectueuses des droits de chacun, à commencer par ceux de l’enfant à naître. On y observe aussi des pratiques d’accompagnement soucieuses du bien-être, de la sécurité, des droits de la gestatrice et qui placent au centre la qualité de ses relations avec le couple d’intention, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel. La façon dont sa famille va vivre la GPA est également l’objet d’attentions. Les standards moraux et de justice en matière de GPA sont universels, comme les droits fondamentaux, même s’ils ont été inventés par nos démocraties occidentales.

Comment percevez-vous les arguments du CoRP ?

Le CoRP est un petit groupe fondé notamment par Sylviane Agacinski, qui s’est illustrée en combattant simultanément la loi de 2013 sur le mariage pour tous, l’adoption pour les couples homosexuels, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et la GPA. Hélas, la « Manif pour tous » applaudit. Je vois dans ces amalgames à la fois une incompréhension des mutations historiques de notre système de parenté, un refus du réel et un mépris des personnes : les militantes du CoRP ne connaissent pas plus d’enfants nés d’une GPA à l’étranger que de mères porteuses opprimées. Leur initiative du 23 mars auprès de la Convention de La Haye illustre leur dogmatisme puisqu’elles dénoncent les démocraties qui précisément s’efforcent d’organiser la lutte contre les trafics de ventres.

Considérer la GPA comme un don, est-ce une réponse à ceux qui redoutent une marchandisation du corps ?

En France, il n’y a toujours aucune pensée sur le sens, la valeur, les motivations de l’acte par lequel une personne décide d’aider un couple à engendrer un enfant en lui offrant de sa capacité procréative, que le don soit de sperme, d’ovocyte, ou de gestation… En réalité, depuis 1994, le droit français de la PMA cache les dons, et maquille des engendrements à trois en pseudo-procréation charnelle du couple receveur… On hérite d’une vision dépassée, à la fois masculiniste et paternaliste, qui date des premiers dons de sperme.

Une GPA n’est jamais anonyme et rarement gratuite. Peut-on encore parler de don ?

Le secret de la conception et l’anonymat définitif du don ne vont pas de soi. En effet, comment ne pas voir que les GPA « instrumentales », ce sont justement celles qui sont anonymes, où aucune relation n’existe entre les futurs parents et la gestatrice ? À l’inverse, dans les GPA éthiques, la relation est le cœur du processus. Pour construire un débat sérieux sur la gratuité et sur les compensations financières, il faudrait commencer par s’interroger sur le fait que tout est fait pour empêcher la relation donneurs/receveurs. En France, on veut des dons gratuits mais oblatifs, sacrificiels, sans le moindre contre-don. Les anti-GPA ne conçoivent pas qu’une femme puisse trouver valorisant de porter l’enfant d’autrui.

L’autre argument en faveur de la GPA, c’est la libre disposition de son corps. Qu’en est-il du corps de l’enfant à naître ?

On ne « dispose » pas du corps de l’enfant à naître ! Seuls le croient ceux qui, comme l’Église depuis 1987, s’opposent à toute PMA et à tout progrès technologique (diagnostic prénatal) sous prétexte que seule la naissance issue d’un acte hétérosexuel procréatif serait conforme à la nature… Ce qui compte dans une GPA, c’est d’abord de garantir à l’enfant des relations respectueuses entre sa gestatrice et ses parents, et qu’on puisse lui raconter son histoire. Et, ensuite, de lui permettre de bénéficier de ses droits, dont un statut social et familial clair.

Qu’en est-il des liens tissés pendant la grossesse ?

Dans les GPA éthiques que je connais, je suis très frappée de l’importance accordée aux liens charnels et émotionnels qui se tissent pendant la grossesse, entre le fœtus et la gestatrice, et entre lui et ses futurs parents. Vous n’imaginez pas tout ce que les gens font, créent, inventent, offrent, pour donner corps et chair à chacune des relations différentes. Vivement des documentaires, des thèses, des recherches, des témoignages sur le sujet. Le petit d’homme vient peu à peu à l’humanité dans le corps d’une femme, et tout l’enjeu est de comprendre que celle-ci peut assumer complètement ce lien d’humanisation en s’attachant à introniser les parents auprès de l’enfant à naître, y compris corporellement. N’oublions pas que dans l’immense majorité des cas aujourd’hui la gestatrice ne porte pas son embryon, et que c’est pour elle une condition sine qua non .

Certains considèrent que la GPA est une manière d’abdiquer face au capitalisme qui dévore jusqu’au corps de la femme. Qu’en pensez-vous ?

Comment éviter les dérives ? Le droit anglo-saxon est-il transposable ? Qu’est-ce qui serait bon pour nous en France ? Faudrait-il commencer en ne permettant que des GPA gratuites, amicales ou familiales, avant de voir si on peut introduire des compensations ? Voilà les questions qu’il faut se poser.

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