EDF en panne d’énergie solaire

Nexcis, filiale innovante de l’entreprise publique, doit être fermée le 31 juillet. Les salariés se mobilisent pour démontrer qu’ils détiennent une « pépite » industrielle : les vitres solaires.

Erwan Manac'h  • 20 mai 2015 abonné·es
EDF en panne d’énergie solaire
© Photo : E. Manac'h

Dans la partition de la transition énergétique, Nexcis est une fausse note de plus en plus bruyante. Gouffre financier selon EDF, technologie prometteuse pour ses 77 salariés, la filiale recherche et développement d’EDF Énergies nouvelles, sise à Rousset (Bouches-du-Rhône), doit cesser ses travaux à la fin du mois de juillet. Décision annoncée le 2 mars par son PDG et fondateur, Olivier Kerrec. Le centre de recherche planche depuis six ans pour améliorer la fabrication des panneaux solaires. Dépassé sur le marché du photovoltaïque classique par les panneaux de fabrication chinoise (subventionnée et moins réglementée), Nexcis s’est lancé en 2014 dans un produit en devenir : les vitres solaires semi-transparentes, destinées aux bâtiments de haute qualité environnementale (HQE).

Le principe : de fines bandes de panneaux solaires sont intégrées à une vitre transparente, leur nombre et l’espace entre les bandes permettant de moduler les performances, la luminosité et l’esthétique de la vitre. « Nous sommes les seuls à savoir faire ça », explique David Pic, ingénieur fiabilité, depuis le bureau de démonstration installé sur le parking de l’entreprise. La technologie, opérationnelle depuis novembre 2014, est en attente de certification. Elle pourrait passer à la phase productive dans trois mois, permettant de renouer avec une activité industrielle dans un bassin d’emploi sinistré. Mais EDF a décidé d’arrêter les frais, à rebours d’un discours volontariste de sa ministre de tutelle, Ségolène Royal, sur les énergies renouvelables. « Nous ne sommes pas un manufacturier », tranche Michel Rubino, PDG-liquidateur par intérim de Nexcis, nommé pour remplacer le président fondateur de l’entreprise, Olivier Kerrec, qui s’est éclipsé en congé maladie dès le début du conflit. EDF assure avoir écumé la planète, par l’intermédiaire de la banque Rothschild, missionnée entre juin et novembre 2014 pour étudier les débouchés commerciaux de cette innovation. Sans résultat. Preuve, selon Michel Rubino, que les vitres solaires, c’est du bidon. « Le marché du  [vitrage]  semi-transparent est une niche », assure-t-il. Comment croire en la sincérité du groupe, après six années de travail et 75 millions d’euros d’investissement, au moment où la technologie devient viable ? « Les réactions sont unanimes pour dire que nous détenons une pépite technologique », assure Stephan Dainotti, délégué CGT. Les salariés ont d’abord soupçonné l’existence d’un plan tenu secret, pour l’après-fermeture de Nexcis. Un démarrage industriel aurait été envisagé pour la partie finale de la production, une fois la purge faite parmi les équipes de chercheurs. « Un projet bis, sans nous, après quelques mois de mise sous cocon de nos 17 brevets », résume Stephan Dainotti.

Puis sont venues d’autres interrogations. Comment éviter un tel gâchis ? Là aussi, EDF affirme avoir fait tout son possible pour dénicher un repreneur. Il n’a pourtant pas fallu longtemps aux salariés pour trouver, dans la commune voisine de Gardanne, une entreprise intéressée par une reprise de l’activité. La société Crosslux travaille précisément sur un projet de vitre solaire, tachetée de petits points photovoltaïques. Sa technologie n’est pas au point, mais elle a tissé de nombreux contacts avec des clients. Le marché potentiel est immense, selon la start-up, qui souhaite produire dès 2015, avec environ 40 de ses salariés, les panneaux à bandes de Nexcis. « Vous avez le produit, nous avons un marché », résume Marc Ricci, président de la PME, au cours d’une réunion avec les salariés de Nexcis, le 12 mai, à la mairie de Rousset. Le prétendant avait d’ailleurs sollicité la filiale d’EDF pour collaborer au projet, avant même que Nexcis n’investisse subitement la filière, début 2014. Il « l’avait verte », murmure un ingénieur au fond de la salle municipale.

Mais, cela aussi, c’est du bidon, selon Michel Rubino, qui avoue pourtant sa méconnaissance du secteur. L’ancien patron des supermarchés Schlecker assure qu’EDF sera « facilitateur », mais parie, sourire en coin, sur un échec : « La preuve qu’il n’y a pas de repreneur : Crosslux n’a pas d’investisseur », juge-t-il. Le business plan du repreneur sur cinq ans table en effet sur 10 millions d’euros d’EDF, qui devront être durement négociés, notamment quant à l’enveloppe allouée au plan social. « Tout le monde ne s’attend pas à ce que l’on réussisse », euphémise Marc Ricci, qui avoue avoir « surpris et agacé » ses interlocuteurs du côté d’EDF. Mais il prévoit aussi une levée de fonds, déjà bien engagée, et un appui de la Banque publique d’investissement et des fonds de la transition énergétique. Ces discussions cohabitent avec les négociations, de moins en moins amènes, sur le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) des 77 salariés, dont 40 ingénieurs. L’enveloppe proposée est importante, mais l’emploi n’est pas préservé. « Nous n’avons obtenu aucune garantie sur les reclassements », enrage Stephan Dainotti.

En bisbille avec l’unique représentante du personnel (CFDT), s’estimant méprisées par la direction, ces têtes grises peu coutumières de sit-in syndicaux ont décidé de muscler leur jeu. Rousset et les alentours d’Aix-en-Provence ont redécouvert, le 12 mai, les embouteillages monstres causés par des distributions de tracts, une pratique déjà en usage lors des précédents conflits sociaux qui ont touché la région. « On veut une table ronde pour monter un projet avec les décisionnaires », explique Stephan Dainotti. En l’occurrence EDF Énergies nouvelles, dirigé par Antoine Cahuzac, le frère de l’ex-ministre fraudeur, et les ministères de l’Environnement et de l’Économie. Le conflit est entré dans une phase critique, car le calendrier s’accélère. Le PSE devait être voté mardi soir. S’ils décidaient, faute de mieux, de le signer, les salariés devront choisir : soit accepter le plan de départ, soit s’engager dans le projet de fusion avec Crosslux, en pariant sur sa réussite. Et ce avant le 31 juillet. Mais le projet de reprise ne pourra pas être validé par le cabinet d’experts Syndex avant la mi-juillet. Un dilemme qui pourrait mettre l’unité des salariés à rude épreuve. Ils se battent pour un report au 30 septembre de la fermeture de l’entreprise. De son côté, EDF refuse toujours la tenue d’une véritable table ronde pour préparer une reprise d’activité.

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