Aden et Beyrouth, des villes aux semelles de mort

Franck Mermier nous guide dans des espaces urbains transformés par la violence. Loin du « pittoresque ».

Denis Sieffert  • 10 juin 2015 abonné·es
Aden et Beyrouth, des villes aux semelles de mort
© **Récits de villes : d’Aden à Beyrouth** , Franck Mermier, Sindbad/Actes Sud, 267 p., 25 euros.

Anthropologue et esthète passionné par le monde arabe, Franck Mermier publie ces jours-ci un livre très personnel sur deux villes situées aux deux extrémités du Moyen-Orient, mais qui ont en commun d’avoir connu ou de connaître les affres de la guerre civile : Beyrouth et Aden. Empruntant pour un temps les « semelles de vent » de Rimbaud dans le grand port yéménite qui tutoie la corne de l’Afrique, il nous fait revivre l’histoire d’un pays longtemps divisé. Mais son récit n’est jamais conventionnel. Ce sont les pierres des vieilles bâtisses d’Aden qui parlent dans un texte érudit qui va de la colonisation britannique à la guerre civile de 1994 en passant par la réunification de 1990. Mais c’est par la capitale libanaise que s’ouvre le livre. « Beyrouth fut ma première destination dans le monde arabe, écrit-il. […] J’y arrivai durant l’été 1975. » À cette date, la guerre civile libanaise en est à ses premiers morts. Le conflit en comptera plus de deux cent mille et laissera une ville dévastée.

Les massacres, souvent confessionnels, ne s’arrêteront qu’en 1990. Au désastre de la guerre civile, il faut ajouter les interventions israéliennes de 1982 et de 2006. Cette série de conflits a profondément marqué le pays. Et, aujourd’hui encore, les immeubles criblés de balles et laissés à l’abandon en portent plus que les stigmates. Malgré la fin des combats et les tentatives de rapprochement, les dissensions entre communautés restent vives. Une guerre plus pacifique mais néanmoins lourde de menace couve toujours. C’est la « course au ciel » entre la mosquée Muhammad Al-Amîn et la cathédrale Saint-Georges, inquiétant exemple des rivalités entre musulmans et chrétiens, et à l’intérieur de chaque communauté. On l’aura compris, le récit que nous propose Mermier n’entre pas dans la catégorie « journal de voyage ». Au Yémen, il fut en poste pendant six ans comme chercheur, et il dirigea de 2005 à 2009 l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth. De la capitale libanaise, il connaît tous les recoins. Il évoque une ville où « la politique a envahi l’espace public ». À chaque quartier ses slogans, ses couleurs, ses logos, dit-il, et ses portraits de leaders. Mais cette confessionnalisation de l’espace urbain n’est pas « pittoresque ». Elle renvoie à la guerre civile et est toujours lourde de violences. Nous sommes loin de la territorialisation ethnique de New York ou de Londres. Mermier cite l’exemple de ces commerces qui affichent à l’entrée : « Il est interdit de parler politique. » C’est que la politique, ici, ne peut jamais être « légère ».

Idées
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