Nationalisme en embuscade

Derrière la reconquête démocratique, la nation risque toujours de redevenir l’entité du repli sur soi et des égoïsmes.

Olivier Doubre  • 16 juillet 2015 abonné·es

Si elle peut se concevoir comme une entité ouverte, la nation est aussi un foyer de dangers. Comme au siècle passé, le XXe, qui fut pour une large part celui des nationalismes agressifs et des nations colonisatrices ou impérialistes, sources de guerres, les unes contre les autres. L’Union européenne s’est ainsi construite sur la volonté de bannir les nationalismes pour entrer dans une ère supposée post-nationale, synonyme de paix sur un continent trop longtemps secoué par des conflits armés. François Mitterrand le rappelait dans son ultime discours devant le Parlement européen, en 1995, parlant notamment de la haine séculaire entre Allemands et Français : « Dans ma jeunesse, chacun voyait le monde depuis l’endroit où il vivait. Il faut aujourd’hui vaincre ces préjugés. Or, ce que je demande là est presque impossible car il s’agit de vaincre notre histoire. Et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera : le nationalisme, c’est la guerre ! »

Outre le poids de l’histoire en Europe, toujours dans les esprits, le chômage et la misère, l’accroissement des inégalités – au sein des nations et entre les nations – ont toujours été les ingrédients des poussées nationalistes. Celles-ci prennent parfois, à droite mais aussi à gauche, les traits du souverainisme, une variante moindre et actualisée au sein d’une Union européenne à qui l’on a transféré nombre des compétences traditionnelles des États-nations : monnaie, frontières, politiques agricoles ou industrielles, et réglementations diverses… Il est ainsi aisé aux souverainistes de tout poil, et plus encore aux extrêmes droites, de pointer Bruxelles ou les institutions internationales comme les seuls responsables des difficultés économiques et sociales des peuples, parce qu’elles ont retiré à ces derniers leurs capacités de décisions. Trop simplistes, ces prétendues explications convainquent pourtant de plus en plus de citoyens européens toujours moins protégés socialement du fait de politiques néolibérales souvent décidées au niveau supranational.

Ainsi, dans beaucoup de pays de l’Est, les extrêmes droites, jouant en outre du souvenir d’un État ultra-protecteur socialement (bien qu’oppresseur politiquement) dans tous les domaines de la société, ont le vent en poupe. Dans les pays du Nord de l’Europe, elles progressent aussi, mêlant demandes de protections sociales aux peurs de l’Autre, entre égoïsme contre l’immigré arrivant démuni et craintes identitaires ou religieuses. De même, au Royaume-Uni avec l’UKIP, en Allemagne avec les mouvements anti-islam, en France avec le Front national, ou encore en Italie, où la Ligue du Nord, depuis longtemps la voix de la volonté de repli sur soi des riches régions septentrionnales, vient tout récemment de s’allier avec les néofascistes du Sud au nom de la lutte « contre l’immigration ». Seuls – et pourtant fortement frappés par la crise économique, tout en connaissant de massives arrivées de migrants –, les Portugais, et surtout les Grecs et les Espagnols, semblent résister à cette tendance dangereuse, et conserver la volonté d’une expression nationale ouverte. Sans sombrer dans le réflexe égoïste. Mais jusqu’à quand ?

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La nation est-elle ringarde ?
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