Un personnage de fiction

Selon Bernard, si tu n’es pas de son avis, t’es probablement un fasciste.

Sébastien Fontenelle  • 16 juillet 2015 abonné·es

Bernard est « philosophe »  : c’est du moins ce que soutient (notamment) son éditeur. En tant que philosophe, Bernard a produit plusieurs concepts assez remarquables : on lui doit par exemple la démonstration, imparable (et dans laquelle tu auras, j’en suis bien certain, identifié un discret hommage au stalinisme), selon laquelle si tu n’es pas de son avis, t’es probablement un(e) fasciste, parce que si t’es pas de son avis, t’es probablement un(e) fasciste. Attention : contrairement à ce que tu pourrais penser, le truc n’est pas d’un maniement facile. Tu le vois, tu te dis que c’est tout con, mais en fait, non – car Bernard, taquin, a glissé dans sa Pensée (je l’écris avec une majuscule, pour que tu mesures bien qu’elle est exceptionnellement longue en bouche) des subtilités limite piégeuses.

Par exemple, si des Serbes tuent en masse des Kosovars ? Bernard se met à hurler qu’il en vraiment ras le Sartre des « fascistes serbes », et qu’il serait plus que temps qu’on aille leur bombarder la gueule. Idem : si des Russes tuent des Géorgiens ? Bernard crie haro sur les « fascistes » russes – qu’on les stoppe, bordel, ou j’écris encore un livre. Itou : si un Kadhafi (ou un Assad) fait d’horribles massacres dans des populations harassées ? Bernard décrète la mobilisation générale, et fait donner la chasse françousque, prends ça dans le chèche, pu-tain-de-fas-ciste. Et jusque-là, tout va bien, tout le monde peut suivre – et parfois même, pourquoi pas, opiner. Mais. (Tention, c’est là que ça devient méga-subtil.) Si l’armée israélienne (AI) fait au Liban ou dans Gaza du hachis d’Arabo-musulman(e)s, assaisonné du sang de milliers de victimes civil(e) s ? T’d’un coup, Bernard change complètement son point de vue, et se met à raire qu’il ne supporte plus qu’on incrimine l’AI – selon lui « l’armée la plus morale du monde »  – au prétexte dégueulasse qu’elle a, par inattention, broyé quelques centaines de gamin(e) s. C’est de leur faute, à ces magnifiques artilleurs, si des gosses traînent dans les rues de Musulmanie jusqu’à pas d’heure ? Puis Bernard (qui est philosophe, je te rappelle, donc humain) ajoute que, d’accord, le sort des Palestinien(ne) s n’est pas qu’enviable, quand ils se ramassent des bombes sales sur le coin du keffieh, mais d’un autre côté, dis-moi : quel besoin avaient-ils, ces pauvres arriéré(e) s, de voter librement pour les « fascistes » du Hamas ? Puis Bernard se fait grave, et récite, par cœur, qu’  « Israël est la seule démocratie de la région ».

Puis enfin, Bernard, revenant vers l’Occident, décrète que l’organisation d’un référendum par M. Tsipras n’est certainement pas démocratique – contrairement, donc, aux tueries de l’AI –, et que d’ailleurs l’intéressé (qui dans la vraie vie est de très longue date l’un des plus farouches adversaires de l’ultra-droite hellène) est limite fasciste, puisqu’il s’allie « avec les néo-nazis d’Aube dorée ». Il va de soi que Bernard est un personnage de fiction, inventé pour les besoins de cette chronique : tu penses que si un tel pitre existait dans la réalité, on l’aurait de très longue date chassé pour toujours de notre paysage à grands coups, se peut, de tartes à la crème.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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