L’Argentine sous la menace des « fonds vautours »

Le premier tour de la présidentielle qui se tient dimanche est un nouvel épisode de l’éternel face-à-face entre péronistes et libéraux. Correspondance de Soizic Bonvarlet.

Soizic Bonvarlet  • 21 octobre 2015 abonné·es
L’Argentine sous la menace des « fonds vautours »
© Photo : Abramovich/AFP

Que ce soit le péroniste Daniel Scioli ou le très libéral maire de Buenos Aires, Mauricio Macri, tous deux favoris de la présidentielle du 25 octobre, le vainqueur héritera d’un pays en crise. L’Argentine se débat entre inflation chronique et récession, avec 30 % de la population sous le seuil de pauvreté. Et la baisse du prix des matières premières, notamment du soja, base des exportations nationales, annonce un avenir sombre pour le pays. Surtout avec l’épée de Damoclès que représentent les « fonds vautours », ces créanciers détenteurs de dette souveraine qui ont obtenu de la justice américaine leur remboursement sans renégociation par l’État argentin. Le défi n’est donc pas des moindres pour deux personnalités qui ont des appétences communes, à commencer par le sport et les affaires. Mais les similitudes s’arrêtent là. Pour le politologue Mario Riorda, «   Macri incarne le changement total. Il travaille sur des logiques antipartisanes, quand Scioli incarne la continuité du modèle kirchnériste, dans une version plus modérée, à l’image de sa personnalité » .

Daniel Scioli, 58 ans, a d’abord été la star du motonautisme argentin, avant qu’un accident en course le prive de l’usage de son bras droit. Se tournant vers les affaires, il est nommé PDG local de la firme suédoise Electrolux en 1991. Élu député en 1997, il connaît une ascension fulgurante. Secrétaire d’État aux Sports dans le gouvernement d’Eduardo Duhalde en 2002, il devient vice-président de Néstor Kirchner (2003-2007) jusqu’à ce qu’il soit élu gouverneur de la province de Buenos Aires. Son style discret contraste avec la verve anti-impérialiste de Cristina Kirchner, laquelle a d’ailleurs tardé à l’adouber. Et certains doutent de sa capacité à donner de la voix dans le conflit avec les fonds vautours. Issu du monde de l’entreprise, il n’était pas le candidat de la gauche du parti. En revanche, dans l’opposition, il cristallise déjà toutes les haines historiques contre le populisme péroniste.

De l’autre côté, Mauricio Macri, 56 ans, est le fils d’une des familles les plus fortunées d’Argentine. Président du club de football Boca Juniors, où Maradona a laissé l’empreinte de ses exploits, il a su conquérir la classe moyenne. Élu député en 2005, il avait axé sa campagne sur l’insécurité. En jouant du même ressort, il sera élu maire de Buenos Aires en 2007. L’ex-président Néstor Kirchner, mari défunt de Cristina, s’était paradoxalement réjoui de l’ascension de Macri, dans son souhait de voir naître une opposition de droite bien identifiée face aux revendications de justice sociale dont il voulait être le porte-voix. En Argentine, la gauche se divise en deux pôles. D’abord, le kirchnérisme, qui gouverne, affichant les valeurs d’un péronisme progressiste originel – celui des grands acquis sociaux attribués à Juan et à Eva Perón –, à l’inverse de son pendant libéral, incarné dans les années 1990 par Carlos Menem. Suivent une myriade de petits partis, aux références plus européennes, qui ont toujours pâti de la puissance du péronisme. Lors des primaires, le parti socialiste réformiste et le parti de la gauche radicale ont rassemblé chacun 3 % des voix. Des électeurs de la gauche non péroniste qui se reporteront sans doute sur Scioli en cas de ballottage. Selon Mario Riorda, on assiste bien, dans ce duel Scioli/Macri, à la confrontation de deux modèles, l’un s’inscrivant dans la continuité des réformes sociales des Kirchner, quand l’autre représente la composante « libérale et conservatrice de droite », relayant le discours de la mano dura (main de fer), à savoir l’intransigeance sécuritaire.

L’élection pourrait donc être plus serrée que prévu, les deux principaux prétendants étant à la tête de bastions électoraux. Par sa population, la capitale est la deuxième circonscription électorale du pays, derrière la province de Buenos Aires. Si le candidat arrivé troisième, Sergio Massa, a peu de chances d’accéder au second tour avec les 20 % récoltés par sa formation durant les primaires, le report de ses voix est incertain. « Candidat hybride, pur produit du marketing politique », selon Mario Riorda, Massa est l’ancien chef de cabinet de Cristina Kirchner, mais il a fait dissidence en 2010. Continuant à se revendiquer de l’héritage péroniste, il séduit une partie de l’électorat déçu par le kirchnérisme. En outre, par sa position « centriste », qui donne aussi la part belle à la question sécuritaire, il attire une partie de l’opinion de droite. Comme souvent, il se pourrait que le troisième homme fasse basculer l’élection.

Monde
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