La voiture au garage !

Malgré les exigences de mobilité douce, les impératifs sanitaires et le volontarisme de certaines municipalités, d’autres font aussi machine arrière et le combat contre l’auto est loin d’être gagné.

Vanina Delmas  • 28 septembre 2016 abonné·es
La voiture au garage !
© Photo : PHILIPPE LOPEZ/AFP

L’avenue des Champs-Élysées, ses boutiques, son Arc de triomphe et ses badauds. La place du Châtelet à Paris, son théâtre, sa fontaine et ses terrasses de café. Les quais de Seine, les bouquinistes et la vue sur Notre-Dame-de-Paris. Un dimanche banal dans la capitale… ou presque. En tendant l’oreille et en ouvrant les yeux, manquent deux éléments : le bruit et les voitures. Pour la deuxième année consécutive, la mairie de Paris a proposé une Journée sans voitures aux citadins, sur une zone d’environ 38 km2. Quelques dérogations étaient accordées, en particulier pour les véhicules d’urgence, les riverains ou les taxis, mais les piétons et les vélos étaient rois. Une démarche saluée par les écocitoyens et les associations environnementales, comme le Réseau action climat (RAC). « Ce type d’initiative nous semble utile pour révéler la ville autrement,commente Lorelei Limousin, la responsable des politiques de transports de l’association. Bien sûr, cela ne doit pas seulement être un coup de com’ et cela nécessite dans le même temps une politique de mobilité plus ambitieuse, plus pérenne sur le terrain. »

Pour certains, cette journée semble anecdotique, notamment parce que les transports en commun n’étaient pas gratuits et que peu d’alternatives étaient proposées aux irréductibles automobilistes. Mais elle s’inscrit dans une démarche globale de la maire de Paris : circulation alternée en cas de pic de pollution, plan pollution depuis le 1er juillet interdisant la circulation des véhicules antérieurs à 1997, plan vélo en prévision et le projet controversé de piétonnisation des voies sur berges de la rive droite de la Seine. Celui-ci a été validé le 26 septembre par le Conseil de Paris, malgré l’avis défavorable de la commission d’enquête. Les associations environnementales, comme France nature environnement (FNE), approuvent « les bonnes intentions de la Ville de Paris ». La voie express « devait permettre aux usagers de la route d’optimiser leurs déplacements pour réduire les distances parcourues. Pour ceux qui ont la possibilité de le faire, nous espérons voir de plus en plus d’automobilistes se libérer de l’auto », résume Denez L’Hostis, président de FNE. Les 43 000 automobilistes quotidiens de la célèbre voie express Georges-Pompidou, inaugurée par le Premier ministre du même nom en 1967, devront donc rapidement trouver un itinéraire bis.

Une fronde des maires franciliens (UDI, LR ou Debout la France), soutenus par l’association 40 millions d’automobilistes, s’active pour faire annuler ce projet. Pourtant, les premiers chiffres sur le report du trafic routier, dévoilés dans Le Journal du dimanche du 25 septembre, sont moins alarmistes que prévu. Pendant les trois premières semaines de septembre, où les voies sont restées fermées après Paris Plages à titre expérimental, le nombre de véhicules par heure a augmenté de 73 % sur les quais hauts aux heures de pointe du matin (comparé à la même période il y a un an), et de seulement 13 % aux heures de pointe du soir. Et les temps de parcours des automobilistes ont certes augmenté, mais dans une mesure moindre que ceux prévus par une étude d’impact réalisée par un organisme indépendant.

« Créer de la place pour les piétons est une très bonne idée mais pourquoi virer les voitures ?, souligne Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 millions d’automobilistes. Le véhicule qu’on considère comme propre aujourd’hui sera regardé comme sale dans dix ans car la recherche et le développement auront heureusement permis de faire mieux. » Reste qu’actuellement les conséquences sanitaires et environnementales liées aux véhicules sont indéniables. Même si le trafic routier et le taux d’émission de particules fines diminuent depuis 1990, leur concentration demeure stable et sature l’air. Un rapport de Santé publique France, publié en juin dernier et décrypté par Mediapart, révèle qu’environ 2 500 personnes meurent chaque année à cause de la pollution atmosphérique à Paris, dont un quart provient du trafic routier. Une réalité effrayante, car contrairement au tabac, par exemple, personne ne peut échapper à cette pollution.

Cette problématique n’a pas de frontières : selon l’Agence européenne de l’environnement (AEE), 90 % des citadins de l’Union européenne sont exposés à des polluants atmosphériques jugés nocifs par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nombre de grandes agglomérations européennes ont donc lancé des plans semblables à ceux de Paris : le péage urbain de Londres, les 500 kilomètres de pistes cyclables de Copenhague, la zone piétonne bruxelloise de cinquante hectares, les périmètres à trafic limité de Rome… Des expérimentations transitoires pour éventuellement parvenir à une ville sans voitures dans plusieurs années. Une proposition sérieuse étudiée et testée à Lisbonne par le Forum international des transports, un laboratoire d’idées affilié à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et regroupant 57 pays. En développant les taxis collectifs et un réseau de minibus, gérés via une application mobile, ils ont constaté une baisse de 23 % du volume du trafic (jusqu’à 37 % en heure de pointe), un recul de 34 % des émissions de CO2 et une libération massive de l’espace public. Double bémol tout de même : cette révolution urbaine nécessite un investissement financier de taille, et il est peu probable que les industriels automobiles voient d’un bon œil la quasi-disparition des véhicules en ville.

Du côté des constructeurs, les principaux efforts se concentrent sur la voiture électrique, considérée comme plus écologique. Pas vraiment de changement de cap concernant les véhicules mis sur le marché : on n’a pas cessé d’acheter des voitures même après le scandale des tests truqués de Volkswagen. Selon les chiffres du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), les ventes ont même augmenté de 6,7 % lors des six premiers mois de 2016. _« Les tests truqués révélés par le “Dieselgate”, en laissant croire que les véhicules étaient “propres”, ont fait perdre plusieurs années à la lutte contre la pollution de l’air. Nous aurons bientôt un test en conditions réelles de conduite au niveau européen, pour les taux d’oxydes d’azote (NOx) dans un premier temps. Mais il faudrait qu’ils soient étendus aux taux de CO__2_ _pour une vraie avancée_, analyse Lorelei Limousin. _Ensuite, il faudrait une réforme totale des tests d’homologation pour avoir un véritable contrôle sur ces tests. »_

Un changement de mentalité peut-être visible chez certains citadins, mais cela reste marginal face au besoin de se déplacer de populations plus isolées ou aux heures de travail décalées (voir entretien p. 5), et au manque de moyens de plusieurs collectivités locales. En juin 2015, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) mettait en lumière le désintérêt du gouvernement pour les transports publics, « à peine cités dans le projet de loi sur la transition énergétique, qui se préoccupe surtout de la voiture dite “propre” », et listait les communes qui favorisent le retour de la voiture en ville en transformant des places piétonnes en parking (Roubaix), en supprimant des bandes cyclables (Pau, Toulouse) ou en abandonnant leur projet de tramway (Nîmes, Amiens). Argument choc : la voiture permettrait de dynamiser les centres-villes.

Le Réseau action climat a publié le 22 septembre un guide à destination des élus locaux qui leur propose des leviers pour modérer le trafic routier au profit des mobilités alternatives : marche, vélo, voiture partagée, transports en commun [^1]. « Notre réseau de transports en commun n’est pas en capacité d’absorber les automobilistes, commente Pierre Chasseray. Si, demain, nous avons des transports en commun de qualité, des parkings relais gratuits et surveillés aux entrées des villes, comme à Lille, cela répondra à certains besoins. Mais il serait plus judicieux de parler de complémentarité des modes de transports plutôt que d’alternative car cela suppose qu’on peut se passer de la voiture, or ce n’est pas le cas partout. » Deux visions de la ville et de la société qui ne cesseront de s’affronter tant que l’offre de transports en commun ne sera pas homogène sur l’ensemble du territoire. Toutes les méninges s’activent pour trouver des solutions. Dernière proposition pour désengorger les routes : le téléphérique. Brest inaugurera le sien en octobre, tandis que le Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif) a lancé une consultation publique sur un projet dans le Val-de-Marne.

[^1] Les Villes « respire » de demain : repenser notre mobilité face à l’urgence climatique et sanitaire, à lire sur le site du Réseau climat action.

Écologie
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