Christine Lagarde, responsable mais pas coupable

Pourtant reconnue coupable de négligences dans l’affaire Tapie, l’ancienne ministre de l’Économie a été dispensée de peine.

Malika Butzbach  • 19 décembre 2016
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Christine Lagarde, responsable mais pas coupable

Troisième membre d’un gouvernement jugé par la Cour de justice de la République (CJR), Christine Lagarde, reconnue coupable, a pourtant été dispensée de peine et a échappé à la prison. Selon la CJR, l’ancienne ministre de l‘économie « s’est impliquée personnellement dans la décision de ne pas faire de recours contre l’arbitrage » dans la procédure pénale entre Bernard Tapie et l’ancienne banque publique Crédit lyonnais. Alors que le parquet avait requis une relaxe, Christine Lagarde risquait jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende. Mais, malgré la culpabilité, la Cour a estimé que la « personnalité » et la « réputation internationale » de la patronne du FMI, ainsi que le fait qu’elle bataillait à l’époque contre une « crise financière internationale » plaidaient en sa faveur et justifiaient de la dispenser de peine. Coup de chance pour celle qui avait affirmé avoir agi « avec pour seul objectif la défense de l’intérêt général », cette décision ne sera pas mentionnée dans son casier judiciaire.

Absente à la lecture de l’arrêt

L’ex-ministre était jugée pour des « négligences ». Alors en fonction, elle avait autorisé une procédure arbitrale dans le litige qui opposait Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais en 2008. Un arbitrage qui avait été bénéfique à l’homme d’affaire français, lui octroyant 405 millions d’euros.

Une enquête ouverte en 2012 par le parquet de Paris pour « détournement de fonds publics » et « escroquerie » avait abouti à l’annulation de cet arbitrage privé et la mise en examen de Bernard Tapie et Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de Mme Lagarde à Bercy. Ce dernier avait choisi de ne pas venir témoigner cette semaine pour préserver sa propre défense. Mais aujourd’hui, il n’était pas le seul absent : l’accusée elle-même n’a pas assisté à la lecture de l’arrêt, « retenue pour des raisons professionnelles au Fond Monétaire International »,  selon son avocat. L’institution internationale a indiqué qu’elle allait « bientôt » se réunir pour discuter de la condamnation de sa directrice générale qui sera convoquée par le doyen du conseil d’administration, Aleksei Mozhin. De son côté, le gouvernement français a renouvelé son soutien l’ancienne ministre. Michel Sapin, l’actuel ministre de l’Économie et des Finances a publié un communiqué affirmant : 

Christine Lagarde exerce son mandat au FMI avec succès et le gouvernement maintient toute sa confiance en sa capacité à y exercer ses responsabilités.

Une justice d’exception dénoncée

Pour la politologue Vanessa Codaccioni, auteure de Justice d’exception. L’État face aux crimes politiques et terroristes (CNRS Editions), « le procès Lagarde illustre une forme de justice d’exception particulière, celle mobilisée pour protéger les (anciens) membres du gouvernement, celles et ceux qui ont commis des crimes ou des délits pendant l’exercice de leur fonction. En effet, la Cour de Justice de la République est une juridiction d’exception (elle est composée de trois magistrats et de douze élus, parlementaires et sénateurs, c’est-à-dire pour ces derniers de « pairs ») typique des tribunaux spéciaux créés pour faire échapper les hommes et les femmes politiques à la justice « ordinaire », celle des cours d’assises et des tribunaux correctionnels. Il ne s’agit donc pas ici d’une justice d’exception instaurée pour réprimer plus durement des « ennemis intérieurs », centrale en France et qui s’est incarnée par de nombreux tribunaux militaires, mais d’une justice d’exception qui permet aux agents du champ du pouvoir de ne pas subir la répression et d’éviter la prison. » Une vision partagée sur les réseaux sociaux par de nombreux internautes, choqués par le verdict.

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