Quand tout est simple

Pour Gilles Kepel, « le concept d’islamophobie joue un rôle essentiel dans le jihad ».

Sébastien Fontenelle  • 11 janvier 2017 abonné·es

L’hebdomadaire Charlie Hebdo a publié dans son dernier numéro un très (très) long entretien avec le dénommé Gilles Kepel, « directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l’École normale supérieure [^1] ».

Ce personnage ne nous est pas complètement inconnu : on lui doit par exemple, comme le rappelle très opportunément François Burgat dans son dernier livre [^2], d’avoir conjecturé dès l’an 2000 « le déclin des mouvements islamistes, un phénomène aussi spectaculaire qu’inattendu ». Puis d’avoir prophétisé, dans le même impressionnant moment de génie visionnaire, et à quelques mois seulement – insistons-y un peu lourdement – des attentats de septembre 2001 : « Les mouvements islamistes sont entrés dans une phase de déclin qui s’accélère depuis le début des années 1990. »

Bien évidemment, cette extraordinaire perspicacité a été remarquée par la presse mainstream, où Gilles Kepel, dorénavant, est régulièrement invité à donner, en tant qu’« expert », son avis sur les attentats commis par des islamistes revendiqués – qui ont donc, semble-t-il, moins spectaculairement décliné qu’il ne le pronostiquait si crânement il y a dix-sept ans.

Dans Charlie, par exemple, il expectore très posément – c’est le titre de l’interview – que : « Le concept d’islamophobie joue un rôle essentiel dans le jihad. » Plus précisément, il soutient [^3] que : « Le cheikh Youssef al-Qardaoui explique à qui veut l’entendre […] que l’islam est déjà venu deux fois en Europe et a échoué : en 732, quand Charles Martel a arrêté les Arabes à Poitiers, et en 1683, avec l’échec du siège de Vienne. Et il considère que, aujourd’hui, la troisième fois sera la bonne et que ça se fera essentiellement par la prédication et la conversion. Dans cette optique, la lutte contre l’islamophobie joue un rôle essentiel, puisqu’elle a pour objectif de victimiser une population, en la soudant, autour de cette victimisation, dans une communauté que la mouvance islamiste veut contrôler. »

Je propose donc, un peu solennellement, que nous usions désormais, si nous devons évoquer les attaques ciblant spécifiquement les musulman(e)s et leurs lieux de culte, du mot : jetagresseparcequetuesmahométan(e)
maiscestpasdutoutdelislamophobiequestcequetucrois
pauvreimbécile.

Certes : il est un peu long. Mais il présente, par rapport au « concept d’islamophobie », l’avantage considérable de ne pas trop « victimiser » les victimes de ce racisme – puisque, tout au contraire, il nie sa nature particulière. Par conséquent, M. Kepel pourra difficilement prétendre que son utilisation excite les envies d’invasion des hordes sarrasines, abominablement revanchardes, qui ambitionnent de nous conquérir. Et c’est ainsi que, soulagé du fardeau d’avoir à régenter notre vocabulaire, l’excellent homme pourra enfin se replonger dans les travaux qui lui font formuler de si pertinents pronostics : j’aime quand tout est simple.

[^1] Rien qu’à l’écrire, j’ai la bouche pâteuse.

[^2] Comprendre l’islam politique, La Découverte, 2016.

[^3] Je ne peux malheureusement pas évoquer ici, faute de place – tu te rappelles que ça fait maintenant 650 ans que je réclame en vain un troisième feuillet pour cette chronique –, ses autres effarantes assertions.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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