À quoi joue l’État en Corse ?

Un coup de filet visant une vingtaine de jeunes nationalistes mardi a fait monter la tension dans l’île, alors qu’élus et militants s’emploient à promouvoir le débat démocratique depuis que le FLNC a déposé les armes en 2014.

Olivier Doubre  • 8 mars 2017 abonné·es
À quoi joue l’État en Corse ?
© Photo : Olivier Doubre

Dix-neuf interpellations ont eu lieu en Corse à six heures du matin, le mardi 7 mars. Qui sont ces dangereux criminels ? Principalement des jeunes militants de la Ghjuventù indipendentista (GI, Jeunesse indépendantiste, syndicat étudiant majoritaire à l’université de Corte), tirés du lit par les gendarmes, pour la plupart dans la maison parentale devant leurs familles et voisins.

Les autorités leur reprochent la possession ou la confection « d’explosifs artisanaux » qui auraient pu servir lors d’affrontements durant des manifestations. Aussi répréhensibles que puissent être les faits reprochés, on peut tout de même s’étonner du zèle employé dans une procédure qui tend à attiser dangereusement les tensions entre les forces de police ou de gendarmerie et ces jeunes Corses parmi les plus engagés. Car elle intervient après de nombreuses manifestations, non sans dérapages parfois, depuis près d’un an, suite à des incidents avec des supporters bastiais après un match de football à Reims.

Grenades artisanales

En effet, le 16 février 2016 à Reims, la « troisième mi-temps » s’était envenimée dans les rues du chef-lieu champenois. Un jeune Bastiais, Maxime Beux, avait alors perdu un œil suite à un tir de Flash-Ball par un policier. Le 20 février, de retour à Bastia, des groupes de supporters avec des militants de la GI avait défilé pacifiquement, sans incidents, contre les violences policières. Mais en marge du défilé, les policiers avaient trouvé plusieurs grenades artisanales.

En novembre 2016, grâce à des traces ADN, quatre jeunes, dont Maxime Beux, étaient mis en examen, dont deux directement placés en détention provisoire, soupçonnés de « fabrication, détention et transport » d’explosifs. Depuis, plusieurs manifestations organisées par la GI ont dégénéré, à Bastia, Corte ou Ajaccio…

Suite aux 19 interpellations, une certaine colère a gagné la Corse, en particulier dans les milieux nationalistes. Dans les rues d’Ajaccio, beaucoup enrageaient : « On fait la paix et on continue à arrêter les jeunes ! »

Acharnement policier

Sur leurs comptes Twitter, l’autonomiste Gilles Simeoni, président de l’exécutif de la collectivité territoriale de Corse (CTC), et l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, soulignaient leur solidarité avec les jeunes interpellés, protestant contre cet acharnement policier, en particulier au lendemain de la venue de François Hollande.

Sébastien Quenot, directeur de cabinet de J.-G. Talamoni, a l’impression d’un jeu de dupes, rappelant que le président de la République a débuté son discours, jeudi 2 mars, devant l’Assemblée de Corse ainsi : « Aujourd’hui, le débat public a supplanté les actes de violences. Une page s’est tournée définitivement en Corse. » La même défiance se tournait aussi, ce mardi 7 mars, vers le candidat du PS, Benoît Hamon, en déplacement la veille à Bastia, avec deux thèmes centraux de campagne en direction des Corses : l’écologie et… la jeunesse !

Préserver le processus de paix

Alors que le FLNC a déposé les armes en 2014, « prenant acte » de l’arrivée d’une majorité nationaliste d’élus à la CTC, celle-ci s’emploie à promouvoir le dialogue – toujours difficile – avec l’État en avançant leurs revendications, notamment la co-officialité de la langue corse et un statut de résident (protégeant les Corses face au tourisme de masse). Avec la volonté d’approfondir et de préserver le processus de paix, engagé unilatéralement par la décision des clandestins armés.

Or l’État semble fragiliser chaque jour celui-ci par ce genre de mesures répressives et ne pas vouloir saisir la chance de la voie de la paix. Un peu comme lorsque la police arrête, il y a quelques mois, des militants pacifistes basques s’apprêtant à détruire un arsenal de l’ETA près de Bayonne, le ministre de l’Intérieur se félicitant alors, de façon quasi risible, de cette « grande victoire sur le terrorisme » !

Si les 19 jeunes arrêtés mardi matin ont finalement tous été relâchés en fin de journée – même s’ils seront peut-être poursuivis prochainement –, on peut comprendre la réaction sur Twitter du président de la GI, Paul Salort, étudiant à Corte : « Interpellés à six heures du matin aux quatre coins de l’île, l’apaisement à la française ressemble à une déclaration de guerre ! »

À lire aussi >> Notre dossier de mai 2016, Le renouveau du nationalisme corse

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