« C’est finalement une situation très classique »

Pour Céline Braconnier, spécialiste des comportements électoraux, malgré un scrutin hors normes, les clivages traditionnels se retrouvent dans les résultats.

Vanina Delmas  • 26 avril 2017 abonné·es
« C’est finalement une situation très classique »
© photo : Alain Pitton / NurPhoto / AFP

En fin de compte, les sondages se sont révélés plutôt justes. Sauf sur le taux d’abstention, surestimé. Pour Céline Braconnier, l’incertitude inhabituelle de cette présidentielle a contribué à motiver les indécis. Mais les inégalités de participation sont encore fortes, et elle pointe un risque de démotivation au second tour.

Les sondages se sont révélés exacts sur les résultats du premier tour, mais faux sur le taux d’abstention. Qu’est-ce qui les a induits en erreur ?

Céline Braconnier : Les sondages ne sont pas des outils adaptés à la compréhension de l’ampleur et de la composition de l’abstention. Une étude a même été jusqu’à prévoir 34 % d’abstention, alors que le record est de 28 % en 2002. La configuration de l’offre et l’omniprésence des affaires touchant des candidats pouvaient laisser penser qu’on passerait un seuil dans la défiance. En outre, certains sondeurs ont envisagé une nouvelle forme d’abstention chez les diplômés, alors que c’est une aberration sociologique. Des éléments scientifiques nous permettent d’établir un lien mécanique entre le niveau de diplôme et la participation : plus on est diplômé, plus on vote. Dans le centre de Paris, par exemple dans le quartier de la Bourse et de la vie intellectuelle, avec une concentration de bac + 5 très forte, il y a eu près de 85 % de participation.

Le buzz médiatique autour de ce taux d’abstention est monté en flèche dans les médias, or cette élection a juste confirmé les inégalités sociales de participation : 14 % dans le Marais, à Paris, mais 34 % à Saint-Denis ou 40% à Vaulx-en-Velin, près de Lyon. Ceux qui s’abstiennent sont toujours les mêmes : les jeunes, les moins diplômés, les plus fragiles économiquement.

Pourquoi l’élection présidentielle mobilise-t-elle autant ? Celle-ci était-elle particulière ?

L’intensité médiatique a été très forte jusqu’au dernier moment. Dans les trois dernières semaines, la campagne électorale était présente partout, à des heures de grande écoute, et pas seulement dans les émissions spécialisées. La politique pénètre donc dans les foyers et cela crée des discussions dans les familles, au bureau, entre amis… Ces discussions créent des effets d’entraînement chez les personnes les moins politisées et produisent un vote collectif qui explique en partie ce surplus de participation, comparé aux autres scrutins intermédiaires. C’est souvent une élection à laquelle on participe en famille ou en couple. Il y a une fatalité incroyable des sondages à être amnésiques, car on sait très bien que ces tendances sont très présentes, surtout dans des lieux peu politisés : un quart des choix électoraux sont produits le jour même du scrutin dans l’isoloir ou la veille, à l’occasion d’une discussion.

Cette année, l’incertitude laissant la possibilité à quatre candidats d’accéder au second tour, ainsi que le brouillage des repères habituels gauche/droite et les consignes de vote des grands partis pas très claires ont sans doute renforcé ce phénomène. Mais, finalement, nous nous sommes retrouvés dans une situation très classique.

Une partie des votants de Jean-Luc Mélenchon n’iront pas voter le 7 mai et ont même lancé sur les réseaux sociaux le mot d’ordre #SansMoiLe7Mai. L’abstention peut-elle jouer un rôle clé au second tour ?

Je ne suis pas sûre que les mots d’ordre des candidats ou des partis produisent des effets mécaniques sur leurs électeurs. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, où Jean-Luc Mélenchon a obtenu d’excellents résultats, le vote n’était pas plus enchanté qu’ailleurs. En revanche, le risque d’abstention est réel, notamment dans ces territoires. Les électeurs qui ont voté à gauche pourraient ne trouver aucune raison de se déplacer le 7 mai car, si le Front national était présenté comme l’ennemi en 2002 par les jeunes, Marine Le Pen fait beaucoup moins peur aujourd’hui, et je ne suis pas sûre que cette fois ils se mobiliseront juste pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Quant à Emmanuel Macron, il est perçu par une partie de cette population qui cumule les difficultés comme un représentant de la finance et suscite du rejet.

Les quartiers populaires ne feront pas l’élection mais participeront fortement à la légitimité du futur Président. Le vote massif pour Jean-Luc Mélenchon n’est que le prolongement du sentiment très fort d’abandon, et Emmanuel Macron devrait prendre acte de l’existence de ces territoires pour envisager une politique intégratrice.

Céline Braconnier Directrice de Sciences Po-Saint-Germain-en-Laye. Auteure avec Jean-Yves Dormagen de La Démocratie de l’abstention : aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires, Folio actuel, 2007.

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