Valérie Masson-Delmotte : « Défendre la science, ce n’est pas seulement pour le climat »

Face au péril de la politique de Donald Trump, Valérie Masson-delmotte revendique le droit à une recherche sans entraves et en libre accès pour le public.

Patrick Piro  • 19 avril 2017 abonné·es
Valérie Masson-Delmotte : « Défendre la science, ce n’est pas seulement pour le climat »
© photo : Hector Guerrero/AFP

La chercheuse soutient la Marche pour les sciences du 22 avril, à laquelle elle compte se rendre en famille, parents compris, parce que la société est directement concernée par la l’affaiblissement généralisé de la recherche en France.

Toutes proportions gardées avec ce que vivent les États-Unis, faut-il se préoccuper, en France, d’un possible revirement climato-sceptique ?

Valérie Masson-Delmotte : Certes, les affirmations surprenantes n’atteignent pas toutes le déni d’un Scott Pruitt, le nouveau directeur de l’Agence de protection de l’environnement états-unienne (EPA), qui ne reconnaît pas l’effet du CO2 sur le climat, ou d’un Trump déclarant par un tweet pendant sa campagne que le réchauffement était un canular ourdi par les Chinois. Mais on entend des propos totalement faux dans la bouche de personnages publics de très haut niveau dans de nombreux pays. Ainsi Poutine rapproche-t-il les dérèglements dans l’Arctique d’un phénomène naturel constaté dans les années 1920. C’est absurde, tout comme l’affirmation de François Fillon qui ne reconnaît à l’homme qu’une responsabilité partielle dans le réchauffement. Rien n’est jamais acquis, la vigilance s’impose.

Et puis Trump n’est pas le premier passé à l’action : Stephen Harper, Premier ministre canadien jusqu’en 2015, a censuré les chercheurs, employés fédéraux, qui n’avaient plus le droit de s’exprimer en public sur les questions climatiques qu’après avoir obtenu l’autorisation des services de la communication gouvernementale. Résultat : huit ans de quasi-silence !

Pour cette journée du 22 avril, il faut donc se mobiliser pour le climat, mais aussi pour une production libre des connaissances et leur libre accès pour le public.

Quelle est la portée réelle de la menace qui pèse sur la recherche climatique aux États-Unis ?

L’école de droit de l’université de Columbia, qui a installé un observatoire des décisions de l’administration Trump, montre que les préoccupations se concentrent sur le démantèlement de la politique réglementaire mise en place par Obama (plan énergie propre, programme pour l’efficacité énergétique, etc.), sur les recherches établissant les responsabilités du dérèglement climatique (rôle de certains gaz, de certains secteurs d’activités humaines) et sur l’adaptation aux conséquences du réchauffement. Certaines ressources scientifiques, dans ces domaines, ne sont plus disponibles publiquement. Existent-elles encore ?

Cependant, les inquiétudes les plus lourdes concernent l’examen du budget fédéral pour 2018, qui prévoit des coupes précises dans le budget de trois agences clés pour la recherche climatique : l’EPA, l’Observatoire météorologique national (NOAA) et la Nasa. Seraient affectés des programmes de mesure et de recherche sur le niveau des océans, la densité du plancton, le rôle des nuages dans le réchauffement, le comportement de la haute atmosphère, etc. Pour la Nasa, c’est un milliard de dollars qui seraient détournés de ces observations terrestres !

Et l’abandon du financement de programmes internationaux risque de bloquer le développement de très gros outils comme les modèles numériques de climat, alors que d’énormes masses de données sont stockées sur des sites d’agences fédérales. Le Giec est par ailleurs financé à hauteur de 40 % par les États-Unis. Leur retrait de la scène internationale ne pourrait être pallié par aucun pays dans l’immédiat. Verra-t-on Trump interrompre la production de connaissances pour satisfaire un intérêt privé ? Une telle censure ne s’est jamais produite auparavant à Washington, tous gouvernements confondus. L’attitude des Républicains modérés, lors du vote du prochain budget, sera déterminante.

Les enjeux de la recherche et de l’éducation ont brillé par leur absence dans la campagne présidentielle française. Une motivation supplémentaire pour la mobilisation du 22 avril ?

Il y a deux mois, avec un groupe de chercheurs, nous avons fait parvenir aux candidats un questionnaire sur leurs intentions dans ce domaine. Seuls sept nous ont répondu, dont les principaux, à l’exception de Marine Le Pen. Et sur le point essentiel du budget de la recherche, parvenu à la limite du soutenable, ils ne s’engagent pas tous clairement sur l’objectif adopté par l’Union européenne en 2000 d’y consacrer 3 % du PIB. Par ailleurs, ces questions n’ont pas émergé lors des débats entre les candidats. Samedi, je n’irai donc pas marcher « contre Trump », mais pour une science reconnue et respectée pour son rôle dans la société, pour une recherche libre et ouverte sur le monde.

Valérie Masson-Delmotte Climatologue, coprésidente d’un des trois groupes de travail du Giec.

À lire aussi >> La science contre les « faits alternatifs »

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

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