Un précédent au 17 octobre 1961

Daniel Kupferstein ravive la mémoire d’un massacre de nationalistes algériens par la police le 14 juillet 1953, à Paris.

Olivier Doubre  • 10 mai 2017 abonné·es
Un précédent au 17 octobre 1961
© photo : AFP

Le 14 Juillet n’a pas toujours été qu’un défilé militaire. La fête nationale fut longtemps célébrée par la gauche française, « qui revendique son histoire, y compris nationale [1] », au même titre que le 1er Mai.

Au milieu du XXe siècle, à Alger comme à Paris, les nationalistes algériens, organisés dans le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali Hadj, emprisonné en métropole depuis 1937, participent à ces défilés. En 1953, le MTLD a particulièrement mobilisé ses militants, qui s’élancent place de la Bastille en un cortège fourni, presque à part, comptant 6 000 à 8 000 personnes en tenue du dimanche, en queue de manifestation.

Le drame advient à l’arrivée, place de la Nation. Après avoir dépassé la tribune où se trouvent élus et dirigeants des partis et syndicats, le « cortège algérien », très applaudi par la foule, salué à la tribune – où sont apparus le drapeau algérien et un portrait de Messali Hadj –, est violemment chargé par la police. Rapidement, les militants se défendent avec ce qu’ils trouvent sur place, le MTLD ayant strictement interdit d’apporter toute arme, « pas même une aiguille ». La police recule d’abord, mais revient bientôt et ouvre le feu sans sommations par « un tir soutenu sur la foule ». Bilan : sept morts – six Algériens et un métallo français CGT, auxquels s’ajoutent une cinquantaine de blessés par balles.

Documentariste, Daniel Kupferstein ne connaissait rien de cet événement tragique avant 2006. Alors qu’il recueillait des témoignages pour son film Mourir à Charonne. Pourquoi ?, un militant communiste présent le 8 février 1962 évoque une autre manifestation, celle du 14 juillet 1953. Précieux pour son rappel de faits oubliés – il fut déjà très difficile de faire sortir de l’oubli le massacre du 17 octobre 1961 –, ce livre l’est aussi pour la mise au jour des raisons de leur occultation. Un « incroyable mensonge d’État » est en effet promptement monté quant aux responsabilités policières. Et, côté algérien, opérant un « patriotisme sélectif », le FLN est bien peu enclin, une fois au pouvoir, à « honorer des gens qui défilaient derrière le portrait de Messali Hadj, qualifié longtemps de “traître à la révolution” ».

Pourtant, comme le souligne Daniel Kupferstein, cette répression des nationalistes algériens lors de la manifestation du 14 juillet 1953, organisée par Mourad Didouche et Mohamed Boudiaf, alors dirigeants du MTLD et bientôt fondateurs du FLN, joua un « rôle essentiel de “déclic” » dans le déclenchement par le FLN de la « guerre de libération » le 1er novembre 1954. Cette enquête fouillée, nourrie d’archives mais aussi de témoignages, en Algérie et en France, vient surtout, comme l’indique Didier Daeninckx dans sa préface, « rappeler que la répression des revendications indépendantistes n’a pas concerné que les départements d’Algérie, mais aussi la France métropolitaine ».

[1] Les Manifestations de rue en France (1918-1968), Danielle Tartakowsky, Publications de la Sorbonne, 1997.

Les Balles du 14 juillet 1953. Le massacre policier oublié de nationalistes algériens à Paris, Daniel Kupferstein, préface de Didier Daeninckx, La Découverte, 256 p., 18 euros.

Idées
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