Affaire Ferrand : la vérité est En Marche !

Le parquet de Brest a finalement décidé d’ouvrir une enquête préliminaire dans l’affaire immobilière impliquant le ministre Richard Ferrand, soutien de la première heure d’Emmanuel Macron.

Michel Soudais  • 1 juin 2017 abonné·es
Affaire Ferrand : la vérité est En Marche !
© photo : CHARLY TRIBALLEAU / AFP

La ligne de défense du ministre de la Cohésion des territoires et ex-secrétaire général d’En Marche ! apparaît de plus en plus fragile. En huit jours, la polémique sur des soupçons de favoritisme lancée par Le Canard enchaîné, le 24 mai, n’est plus un simple « débat », comme la qualifiait le Premier ministre, Édouard Philippe, pour la minimiser. Elle est devenue « l’affaire Ferrand », le parquet de Brest s’étant résolu à ouvrir une enquête préliminaire. Un rebondissement embarrassant pour Emmanuel Macron et son mouvement, à dix jours du premier tour des législatives, et alors que le garde des Sceaux, François Bayrou, présentait ce jeudi à la presse les grandes lignes d’une loi de moralisation de la vie politique.

Une transaction lucrative

Rappelons brièvement les faits. Le 24 mai, Le Canard enchaîné met en cause le ministre pour des tractations immobilières remontant à 2011. L’hebdomadaire satirique raconte comment les Mutuelles de Bretagne, dont Richard Ferrand était alors le directeur général, avaient souhaité louer des locaux commerciaux à Brest pour ouvrir un centre de soins. Leur conseil d’administration avait choisi, entre trois propositions, celle d’une société civile immobilière (SCI) pas encore créée au moment de sa décision ; or la SCI créée pour l’occasion appartient à 99 % à sa compagne, Sandrine Doucen. Laquelle achète les locaux qu’elle va louer aux Mutuelles de Bretagne, sans aucun apport personnel, grâce à un prêt bancaire de 400 000 euros sur 15 ans, que les loyers perçus des Mutuelles permettent de rembourser pile-poil. Ces dernières ont aussi accepté de prendre à leur charge les travaux nécessaires à la rénovation des locaux dont elles ne seront que locataires. Coût : 184 000 euros, soit l’équivalent de 4 ans de loyer.

Sans débourser autre chose que les 100 euros du capital de la SCI, la compagne de Richard Ferrand s’est ainsi constitué un capital immobilier qui, au terme du prêt, vaudra un peu plus d’un demi-million d’euros. La SCI, elle, a déjà vu la valeur de ses parts « multipliée par 3000 » six ans plus tard, selon Le Canard.

Le parquet de Brest, sollicité le 26 mai par l’avocat des Républicains qui avait remis un courrier de 74 pages au procureur faisant état de multiples violations du code de la mutualité, avait répondu moins de trois heures plus tard, dans un communiqué, qu’« en l’état, aucun des faits relatés n’est susceptible de relever d’une ou plusieurs qualifications pénales permettant d’ouvrir une enquête préliminaire ».

Une ligne de défense fragilisée

Cette prise de position judiciaire avait aussitôt été mise en avant par Richard Ferrand, le ministre expliquant depuis le début qu’il n’y avait « rien d’illégal ». Le Premier ministre Édouard Philippe, mardi, et le chef de l’État lui-même, hier encore, s’étaient appuyés sur cette position du parquet pour renouveler leur confiance au ministre de la Cohésion des territoires, et inviter la presse à ne « pas devenir juge ». Cette ligne de défense est aujourd’hui fragilisée par le communiqué du procureur de la République de Brest, Éric Mathais, diffusé ce jeudi matin :

Après analyse des éléments complémentaires susceptibles de mettre en cause M. Richard Ferrand, ministre de la Cohésion des territoires, révélés par différents organes de presse […], j’ai décidé de saisir ce jour la direction interrégionale de la police judiciaire de Rennes d’une enquête préliminaire.

Quels sont ces éléments complémentaires ? Sans doute ceux apportés par Le Parisien le 29 mai et Le Canard le 31 mai, qui montrent que dans cette transaction aussi surprenante que lucrative, Richard Ferrand a joué un rôle clef. En proposant ces locaux au conseil d’administration des Mutuelles tout en signant parallèlement un compromis de vente par lequel il se rendait acquéreur desdits locaux, sous la condition expresse que les Mutuelles signent un bail avec une société civile immobilière qui prendrait la place de l’acheteur, ce qui lui permettait de s’effacer une fois l’opération réalisée.

Car à l’époque des faits (2011), Richard Ferrand était déjà un homme politique, responsable connu du PS local. Certes il n’était pas encore député, mais tout de même vice-président du conseil général du Finistère (élu de 1998 à 2011), et depuis 2010 conseiller régional de Bretagne. Difficile de voir dans cette transaction validée par les dirigeants des Mutuelles de Bretagne une simple affaire privée. D’autant que ce n’est pas le seul « mélange des genres » pointé par la presse. Le 26 mai, Le Canard révélait aussi l’embauche de son fils comme collaborateur parlementaire durant quelques mois. Le 30 mai, le journal Le Monde assurait que Richard Ferrand « a fait bénéficier de plusieurs contrats des proches, dont son ex-femme et sa compagne ».

De possibles répercussions électorales

L’ouverture d’une enquête préliminaire ne peut qu’accentuer les pressions sur le ministre, attaqué depuis plusieurs jours par la droite et la gauche, de François Baroin (LR) à Jean-Luc Mélenchon (la France insoumise), en passant par Marine Le Pen (FN) ou Jean-Christophe Cambadélis (PS), lequel estime qu’il doit « évidemment » démissionner. Elle intervient au lendemain du dépôt d’une plainte contre X de l’association anticorruption Anticor auprès du parquet de Brest, sur le fondement du délit d’abus de confiance. Selon son président, Jean-Christophe Picard, elle vise « Richard Ferrand, mais également les membres du conseil d’administration des Mutuelles de Bretagne ainsi que la bénéficiaire de l’opération », Sandrine Doucen.

Pour l’heure, les membres du gouvernement continuent de manifester leur « solidarité » envers leur collègue dans la tourmente, conformément à ce que leur a demandé mercredi le chef de l’État. Richard Ferrand n’a « aucune raison » de devoir démissionner « aussi longtemps » qu’il n’est pas mis en examen, affirme le Premier ministre Édouard Philippe.

Certains, à l’instar du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’inquiètent toutefois des répercussions possibles de cette affaire sur le résultat d’En Marche ! aux législatives. Pour les gagner, le mouvement d’Emmanuel Macron misait beaucoup sur la loi de moralisation de la vie politique dont François Bayrou a présenté ce jeudi les grandes lignes. « L’affaire Ferrand » risque fort d’en annihiler les effets attendus.

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