Paris-Kaboul : la France se lance dans une vague de renvois forcés

La France expulse désormais par avion directement de Paris à Kaboul. Une situation qui n’avait plus eu lieu depuis 2009, sous le quinquennat Sarkozy. Les associations s’inquiètent de cette première série d’expulsions, qui commence demain.

Maïa Courtois  • 9 juin 2017 abonné·es
Paris-Kaboul : la France se lance dans une vague de renvois forcés
PHOTO : l'aéroport de Kaboul.
© MOHAMMAD JAWAD / DPA

Six hommes afghans détenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) sont sous le coup de procédures de renvois forcés. Pour la première fois depuis 2009 et les charters de l’ère Sarkozy, la France expulsera ces hommes directement de Paris à Kaboul. La vague d’expulsion commence demain, et s’étend, d’après les informations dont disposent pour le moment les associations, jusqu’au 24 juin. Des vols individuels, pris en charge par la compagnie Turkish Airlines, depuis l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.

La situation de l’Afghanistan, soumis à des attentats quotidiens, en font tout sauf un « pays sûr ». Sa capitale est plus que jamais sous tension, une semaine après l’attentat dans le quartier diplomatique de Kaboul dont le bilan s’élève à 150 morts. Au lendemain de cette attaque extrêmement meurtrière, l’Allemagne avait décidé de stopper les renvois forcés qu’elle s’apprêtait à effectuer. Avant de reprendre dans les jours qui ont suivi. Pour ces déboutés du droit d’asile en Europe, revenir en Afghanistan signifie mettre de nouveau sa vie en danger.

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Dans son communiqué, le collectif La Chapelle debout dénonce, au nom de ces Afghans, le « silence violent qui entoure les circonstances de leur expulsion ». Le collectif explique que « la France n’expulse pas par charter, mais de façon quasi chirurgicale, avec beaucoup de minutie et d’application. Les quelques couloirs d’aéroports interdits au public et réservés à la police sont l’espace de pratiques discrétionnaires où de nombreux témoignages font état d’usage de drogues pour celles et ceux qui exprimeraient des réticences à retourner là où ils sont gravement menacés. La police française […] les remet directement dans les mains d’autorités étrangères, quand bien même celles-ci obéissent à des régimes dictatoriaux ».

Cette situation inédite en France s’explique en fait par un enjeu européen. Le 4 et 5 octobre 2016, un accord a été passé dans la discrétion la plus totale entre l’Union européenne et l’Afghanistan, en amont d’une conférence organisée à Bruxelles le 4 et 5 octobre dernier. Un document préparatoire, récupéré en mars 2016 par le Guardian, fait état de 80 000 Afghans visés. Un chiffre englobant les personnes les plus vulnérables, comme les mineurs isolés.

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Depuis, dans certains pays européens, les expulsions directes vers Kaboul se sont accélérées. La Cimade rapporte ainsi que « depuis décembre 2016, l’Allemagne a expulsé plus d’une centaine d’Afghans vers Kaboul, dont plusieurs vivaient depuis des années en Allemagne et y avaient leurs familles » . Pour David Rohi, responsable national rétentions de la Cimade, cette première vague d’expulsions en France découle donc complètement de ce cadre européen : « La France se sent sans doute relativement décomplexée, au vu de ce qui se passe dans d’autres pays européens… Son administration met de plus en plus en place des pratiques pour expulser vers Kaboul, malgré la situation catastrophique là-bas, parce qu’on est en train de se rallier à cette politique ».

Parmi ces pratiques qu’observent la Cimade, il y a le nombre croissant d’enfermement en centres de rétentions d’exilés Afghans : elle en dénombre 80 à ce jour. Au Mesnil-Amelot, ils sont 17. Il y aussi les demandes que les administrations des centres de rétention font auprès du ministère de l’Intérieur pour obtenir des laissez-passer européens. Pour renvoyer une personne sans passeport, il fallait auparavant un laissez-passer délivré par les autorités consulaires du pays d’origine. Sauf que depuis l’accord de l’automne 2016, l’Union européenne peut déroger à la règle en ce qui concerne l’Afghanistan, et se fonder sur de simples laissez-passer européens. C’est le cas de deux des Afghans du Mesnil-Amelot en procédure d’expulsion. De quoi faciliter les démarches, se passer de l’avis des autorités afghanes, et donc multiplier ces expulsions directes à l’avenir.

Pour le collectif La Chapelle debout, qui lance un appel aux mobilisations dans les aéroports, tout porte en effet à croire que ce ne soit que le début d’un processus : « C’est un marathon qui s’engagent pour qu’ils restent ici. Et ils n’en seront que les premiers participants. » Un signe : l’Union européenne s’est engagée, dans le cadre de l’accord, à financer la construction d’un terminal supplémentaire à l’aéroport de Kaboul… Spécialement dédié au retour de ces ressortissants afghans venus chercher l’asile en Europe, pour être finalement remis aux mains des autorités qu’ils ont fuies.