Semaine décisive pour la Catalogne

Les dernières mesures de Madrid pour contrer le référendum du 1er octobre n’ont fait que renforcer la mobilisation du camp indépendantiste, éloignant la possibilité d’une sortie de crise.

Laura Guien  • 27 septembre 2017 abonné·es
Semaine décisive pour la Catalogne
© photo : RAYMOND ROIG/AFP

Barcelone vient de vivre l’une des semaines les plus électriques de l’histoire du conflit territorial. En seulement quelques heures, toute la tension accumulée depuis cinq ans entre l’État central et le gouvernement catalan a viré à l’affrontement ouvert. L’épisode qui a mis le feu aux poudres : l’irruption, mercredi dernier, de la garde civile (police militaire espagnole) dans des administrations catalanes, suivie de l’arrestation de 14 responsables du govern, l’exécutif régional catalan, impliqués dans l’organisation du référendum d’autodétermination de la Région prévu pour le 1er octobre. Parmi eux, le secrétaire général de la vice-présidence, Josep Maria Jové, qui est aussi le bras droit d’Oriol Junqueras, vice-président du gouvernement catalan. Une démonstration de force visant à interrompre l’organisation du scrutin catalan, déclaré illégal par le tribunal constitutionnel, mais défendu bec et ongles par le président de la Région, Carles Puigdemont, à la tête de la coalition indépendantiste.

Ces mesures musclées ne sont pas les premières prises par le gouvernement et la justice espagnole pour empêcher le référendum. Le 18 septembre, le ministre de l’Économie avait déjà annoncé la mise sous tutelle des finances catalanes. Quelques jours plus tard, la garde civile avait saisi 10 millions de bulletins de vote et du matériel électoral. Une décision faisant suite à l’irruption des forces de l’ordre dans des journaux catalans, parmi lesquels Nació Digital, où exerce Joan Serra Carné. « Ils sont venus délivrer des notifications judiciaires concernant la publicité pour le référendum que nous avons diffusée et qui a été déclarée illégale par Madrid », raconte-t-il. Le journaliste souligne l’aspect peu conventionnel de la méthode : « Normalement, c’est un membre du tribunal qui remet ce genre de documents. »

Le poids économique de la Catalogne

Avec un PIB de 214 milliards d’euros (20 % du PIB espagnol) et une croissance supérieure à celle du pays (3,4 %), la Catalogne (7,4 millions d’habitants) pourrait-elle être indépendante économiquement ? Les théories varient selon les positions idéologiques. Certains économistes affirment que le volume des ventes catalanes en Espagne, traduit en exportations, représenterait 60 % du PIB du nouvel État, un chiffre supérieur à celui d’autres pays européens. Pour le gouvernement espagnol, une Catalogne indépendante connaîtrait une chute de 25 à 30 % de son PIB. Si la Région restait en Europe, une analyse plus mesurée estime que le PIB catalan pourrait se maintenir puis évoluer de 7 %. Reste que de nombreux paramètres, telle l’épineuse question de la zone euro, cantonnent encore la question de la survie ou de l’asphyxie économique de la Catalogne au rang de la politique-fiction.

Sources : Eurostat, gouvernement de la Catalogne, Idescat, INE et ministères (mise à jour : 16 décembre 2016).

Si de telles opérations avaient déjà déclenché des manifestations de soutien de la part des militants indépendantistes, c’est l’intrusion de mercredi dernier dans les administrations qui a le plus secoué l’opinion publique catalane. En quelques heures, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant les institutions perquisitionnées. « Dehors, les forces d’occupation ! », « C’est ce qui se passait avec Franco ! », a scandé la foule, dont la plus grande partie s’était massée devant le département de la vice-présidence du gouvernement catalan.

Pour nombre de manifestants, la présence policière, ce jour-là, fait écho aux pires heures de l’Espagne. Parmi eux, Jordi, un « communiste libertaire » de 78 ans, qui affirme attendre l’indépendance « depuis cinquante ans ». « Pour moi, le gouvernement de Rajoy et celui de Franco, c’est la même chose. Sauf que maintenant ils suppriment les bulletins de vote, et non les personnes. » Une différence notable, mais un procédé qui choque néanmoins Antonio, 58 ans, originaire de Séville et favorable à la tenue du référendum. « Il faut laisser le peuple s’exprimer. C’est inconcevable que l’on tente de résoudre ce problème en envoyant la police ! »

En réalité, l’ordre d’intervention de la garde civile n’émanait pas directement du gouvernement, mais d’un juge d’instruction de Barcelone, à la suite d’une plainte déposée par le parti d’extrême droite Vox. Toutefois, le chef de l’État s’est rapidement aligné sur cette posture autoritaire. Sa première déclaration après les événements, enjoignant aux séparatistes de renoncer à la « chimère » du référendum, a servi d’introduction à une série de mesures offensives en vue d’empêcher la consultation. À commencer par la décision du ministère de l’Intérieur d’envoyer d’importants renforts policiers dans la Région, suivie de près par celle de coordonner les Mossos d’Esquadra, la police catalane.

De son côté, Carles Puigdemont, après avoir immédiatement évoqué une « suspension de fait » de l’autonomie de la Région, a confirmé à plusieurs reprises que le référendum aurait bien lieu le 1er octobre prochain.

Des déclarations contre vents et marées qui n’ont pas tardé à lancer un nouveau cycle de manifestations organisées par Omnium Cultural et l’Assemblée nationale catalane (ANC), des associations indépendantistes à l’origine des principaux événements de promotion du processus souverainiste. Point d’orgue de ces concentrations pacifiques et festives : la manifestation de soutien aux responsables catalans interpellés, qui a duré jusqu’à la libération de l’intégralité d’entre eux, quarante-huit heures plus tard, devant le tribunal de justice de Catalogne.

La justice n’y est pourtant pas allée de main morte pour freiner les ardeurs séparatistes. Le parquet espagnol a ainsi présenté une plainte pour « sédition », délit passible d’une peine de quinze ans d’emprisonnement, à l’encontre des présidents d’Omnium et de l’ANC, tenus pour responsables de l’endommagement de véhicules de la police en marge des manifestations. Par ailleurs, le président Puigdemont a dissous sa commission électorale pour éviter à ses membres les amendes imposées par le tribunal constitutionnel espagnol, qui peuvent aller jusqu’à 12 000 euros par jour.

Mais ce lourd arsenal judiciaire semble subir un effet boomerang en Catalogne. Selon un sondage mené par Metroscopia pour El País, 82 % des Catalans voient désormais la tenue d’un référendum reconnu et officiel comme l’unique solution de sortie de crise. C’est le cas de Javi, 37 ans : « Nous avons besoin de voix qui favorisent le dialogue, au lieu d’écouter encore et toujours les mêmes slogans auxquels nous ont habitués les deux fronts politiques au sujet de l’indépendance. »

Dimanche dernier, ils étaient encore nombreux à scander « Votarem » (« Nous voterons ») et à converger vers l’université de Barcelone, occupée depuis plusieurs jours par des étudiants en faveur du référendum. Sur place, au milieu de ceux, nombreux, qui croient toujours en la tenue d’un référendum, certaines voix, plus minoritaires, se font également entendre. Comme celle d’Olivia, 18 ans, qui distribue des œillets aux passants : « Je pense que ce référendum sera plutôt une sorte de manifestation. Mais il faut rester dans la rue pour obtenir un scrutin reconnu par tous. C’est le seul moyen pour que l’on nous entende enfin. »

L’opposition a récemment repris la parole en faveur de cette voie intermédiaire. Ce même jour, lors d’une assemblée pro-référendum organisée par Podemos à Saragosse, Ada Colau a appelé le leader socialiste Pedro Sánchez, absent de la rencontre, à s’allier à la formation de Pablo Iglesias et à ses coalitions pour appuyer un référendum avec garanties légales. « La responsabilité d’État consiste aujourd’hui à écouter la Catalogne, non à s’allier avec un Parti populaire bunkerisé », a déclaré la maire de Barcelone. Une référence aux déclarations de Sánchez, la veille, affirmant que son parti allait « obliger Rajoy à négocier ».

Face à ces tentatives diverses, la situation reste plus tendue et polarisée que jamais entre un gouvernement espagnol et une administration catalane qui semblent avoir respectivement abandonné la situation à la justice et à la sphère militante indépendantiste. Que le référendum ait lieu ou non le 1er octobre, le débat politique doit être relancé de toute urgence. Il en va des acquis légaux de la Région catalane, mais également des droits et des libertés de tous les citoyens en Espagne.

Monde
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