Les salariés de Vélib’ devant le tribunal
Le 3 octobre, les 286 employés de Cyclocity chargés de l’entretien des vélos parisiens en libre service étaient au tribunal de grande instance de Nanterre. Suite à la reprise du marché par Smoovengo, le transfert de leurs contrats de travail est incertain.

La salle d’audience est bondée ce mardi après-midi : attentifs, une centaine de salariés écoutent ceux qui vont décider de leur sort, parfois sans comprendre. « Mais en fait, c’est quoi une entité économique autonome ? », demande en chuchotant l’un d’eux à son camarade. C’est tout l’enjeu du débat que mène les avocats. Si Vélib’ est reconnu comme une entité économique autonome, alors Smoovengo, PME de Montpellier soutenue entre autre par Mobivia (marque Norauto et Midas) qui a remporté l’appel d’offres du marché en avril, sera obligé de reprendre les contrats des salariés comme l’exige l’article L 1224-1 du Code du Travail.
Dix ans après le lancement du vélo en partage, le contrat de JCDecaux (soutenu par la RATP et la SNCF) prend fin à partir du 1er janvier 2018. Ce changement plonge les salariés de Cyclocity, filiale chargée de l’entretien et de la réparation des vélos, dans l’incertitude professionnelle.
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Inaction de la mairie de Paris
« Nous avons interpellé la mairie de Paris dès 2015, pour lui demander ce qu’il adviendra de nos emplois lors de l’appel d’offres, explique Mohammed Dini, mécanicien. Christophe Najdovski (EELV), chargé du transport, nous a expliqué qu’ils laissaient la reprise à l’entière discrétion du repreneur. » L’élu Sud-Solidaires et membre du CHSCT s’indigne : « Pour nous c’est de la lâcheté. » Lui et tous les autres employés présents portent des tee-shirts à l’effigie de la maire de Paris sur lequel on peut lire « Anne Hidalgo sponsorise le dumping social ». Danielle Simonnet, conseillère de Paris (France insoumise), est venue apporter son soutien avec d’autres personnalités politiques dont Philippe Poutou (NPA). Elle aussi critique la position de la mairie qui « n’a pas anticipé et a manqué à sa responsabilité sociale envers les salariés ». Me Pascal Lagoutte, représentant de JCDecaux au procès, a lui aussi fait part de son souhait de voir les salariés continuer leur travail chez le repreneur.
Employés : variables d’ajustement
Si, le 18 septembre, Smoovengo a annoncé un plan de recrutement à hauteur de 300 postes, les concernés restent méfiants. « Pour moi c’est un écran de fumée, explique Hamza Khababa, aussi élu au CHSCT. Ils lancent le recrutement avant même la décision du tribunal. » Le repreneur a annoncé qu’il examinerait en priorité les dossier des anciens de Cyclocity, tout en bataillant juridiquement pour ne pas appliquer l’article L 1224-1. Un double discours aux yeux de l’avocat des salariés, Thierry Renard, qui, durant l’audience, a reproché à Smoovengo de « vouloir faire ses courses ». « Ce dont Smoovengo ne veut pas, ce sont les statuts négociés par les salariés avec JCDecaux. Dans cette logique-là, les employés sont la variable d’ajustement qui permet d’avoir le marché. » En effet, la victoire de l’entreprise de Montpellier pour l’appel d’offre est due à l’aspect économique de son dossier qui ne prenait pas en compte les acquis sociaux des travailleurs.
Futurs CDI de chantier
C’est pour ces acquis sociaux que veulent se battre les travailleurs. « Ils nous demandent de démissionner de JCDecaux pour aller postuler chez eux, sans garantie, dénonce Bambo Cissokho, membre du comité d’entreprise. Ils nous ont promis des conditions salariales identiques mais nous n’avons aucune caution pour nos acquis sociaux, comme la prime d’ancienneté. »
D’autant qu’ils pourront sans soucis filtrer les personnalités qui les dérangent, comme par exemple les membres des syndicats.
Pour lui, le cas des salariés de Vélib’ est l’exemple même de la philosophie des ordonnances Macron et du CDI de chantier. « Ce business d’appel d’offres et de marché se joue entre grands, mais finalement c’est toujours les employés qui trinquent. Moi je m’en fiche de travailler pour JCDecaux ou Smoovengo, tant que j’ai de quoi payer mon loyer et nourrir mes enfants. »
Décision le 14 novembre
La situation est d’autant plus incompréhensible que le Vélib’ est un succès à Paris et va s’étendre à la métropole du Grand Paris en 2018. Nicolas Bonnet Oulaldj, président du groupe communiste au conseil de Paris, venu montrer son soutien avec d’autres élus, s’insurge : « L’activité s’étend mais on ne peut pas reprendre les travailleurs avec des bonnes conditions de travail ? Si le vélo en partage est aussi populaire, c’est aussi grâce au travail de qualité de ses employés. D’autant que nous sommes dans un contexte où l’on parle fréquemment des pics de pollution et de l’utilité du vélo … Comment voulez-vous étendre l’usage du vélib sans embaucher autant si ce n’est plus d’employés ? »
« Il n’y a pas de reprises des stations, ni des vélos, ni des locaux ou ni même des véhicules de travail. Il y a un changement technologique complet qui fait que ce ne sera pas la même activité au 1er janvier 2018 », argue Me Loïc Tourenchet, l’avocat de Smoovengo. Selon lui, on ne peut donc pas parler d’une reprise totale de l’activité et les conditions d’application de l’article L 1224-1 ne seraient donc pas réunies. Las, les salariés sortent de la salle d’audience.
« On n’a pas attendu Emmanuel Macron pour les licenciements abusifs », siffle Mohammed Dini. Pour les 287 salariés, il faut attendre le 14 novembre pour que tombe la décision du tribunal de grande instance.
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