Ordonnances : le droit d’alerte sur les libertés individuelles disparaît dans les TPE

La loi du 31 décembre 1992 avait créé un droit d’alerte en cas d’atteinte aux libertés individuelles. Il est supprimé dans les TPE par les ordonnances sur le travail, prévient la juriste Josépha Dirringer.

Josépha Dirringer  • 5 octobre 2017
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Ordonnances : le droit d’alerte sur les libertés individuelles disparaît dans les TPE
© Photo : Martin Bertrand / Hans Lucas

Lorsqu’un salarié constate une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise, des faits de harcèlement sexuel ou moral ou encore une mesure discriminatoire, il peut en alerter son employeur. En cas d’inertie de la part de ce dernier, les délégués du personnel – désormais appelés « représentants du comité social et économique » – peuvent saisir le conseil des prud’hommes pour faire cesser cette atteinte. Les juges appelés à statuer rapidement pourront alors ordonner toutes les mesures visant à faire cesser cette atteinte et à condamner l’employeur.

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Josépha Dirringer est maître de conférences en droit privé, spécialiste du droit social à l'université Rennes I.

Reconnu au délégué du personnel, ce droit d’alerte pouvait être exercé dans toutes les entreprises à partir de 11 salariés, seuil à partir duquel cette institution devait être mise en place. Avec les ordonnances, ce droit n’existera plus dans les entreprises de 11 à 49 salariés. Comment ? Simplement par l’effet de la fusion des instances. La nouvelle et unique instance élue de représentation, le comité social et économique ne dispose de droits d’alerte, dont le droit d’alerte anciennement reconnu au délégué du personnel, qu’une fois le seuil de 50 salariés dépassé.

Une chose est sûre : cette mesure ne réglera en rien le problème du chômage et n’est pas de nature à raviver le dialogue social dans l’entreprise. Tout au contraire puisqu’elle en supprime une des voies possibles. Pis ! Elle prive des millions de personnes travaillant dans les entreprises de moins de 50 salariés du moyen qu’ils avaient de protéger leurs droits fondamentaux contre l’arbitraire et les abus de pouvoir les plus graves.

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Ce droit est sans doute encore trop méconnu et pas toujours utilisé par les représentants des salariés. Malgré tout, il est un moyen de rendre publiques des violations graves aux droits fondamentaux, telles que les discriminations racistes, sexistes, les situations de harcèlement sexuel, le recours à l’espionnage des salariés, les violences verbales ou physiques, des conditions de travail dangereuses ou insalubres, la répression syndicale, etc.

Même symboliquement, il est important qu’un tel moyen soit reconnu au plus grand nombre. Il est une garantie apportée aux libertés fondamentales. Non seulement il est un garde-fou contre l’arbitraire et les abus de pouvoir de l’employeur. Mais plus encore il participe de l’idée que les principes de l’État de droit ne s’arrêtent aux portes de l’entreprise.

Grave en soi, la mesure incriminée est plus largement révélatrice de l’esprit d’une réforme qui ne voit le droit du travail que comme un frein économique, portant des coups sans vergogne sur les symboles d’une société qui se prétend démocratique. Sous couvert d’une règle technique de « simplification », l’ordonnance ne fait pas reculer seulement le seuil d’effectifs, le faisant passer de 11 à 50 salariés. Il s’agit bien aussi d’un recul des droits des salariés et des garanties apportées aux libertés fondamentales.

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