La fin de l’illusion Hulot

En renonçant à l’objectif de ramener à 50 % la part de l’électricité nucléaire en 2025, le ministre de l’Écologie scandalise les associations et… redonne vie à EELV.

Patrick Piro  • 15 novembre 2017 abonné·es
La fin de l’illusion Hulot
© photo : GUILLAUME SOUVANT / AFP

La scène délivre un message ravageur. Mardi 7 novembre, à la sortie du Conseil des ministres, Nicolas Hulot annonce que l’un des engagements forts d’Emmanuel Macron passe à la trappe : la baisse à 50 % (contre 75 % actuellement) de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2025. « Si on veut maintenir la date, explique le ministre de l’Écologie, ça se fera au détriment de nos objectifs climatiques et de la fermeture des centrales à charbon. »

Regard fuyant et débit hésitant, le numéro 3 du gouvernement, devenu anti-nucléaire après Fukushima, donne l’image d’un prisonnier politique lisant un texte de propagande imposé. Il est encadré et dominé en taille par Brune Poirson et Sébastien Lecornu, deux de ses secrétaires d’État, et Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, qui regarde régulièrement par-dessus son épaule.

Dans le monde associatif, le tollé est unanime. « Un choc ! Il a clairement dépassé une ligne rouge », résume Anne Bringault, responsable de la transition énergétique au Réseau action climat. Alix Mazounie, chargée du dossier nucléaire chez Greenpeace, se dit quant à elle « extrêmement déçue et surprise ». Mais le coup le plus blessant est venu du propre sérail du ministre, la Fondation Nicolas Hulot, renommée « pour la nature et pour l’homme » quand son fondateur est entré au gouvernement. « Incompréhension de la FNH face au recul de Nicolas Hulot », titre un communiqué.

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L’intéressé se justifie en opposant « le réalisme et la sincérité » à la « mystification » devant une ambition qui serait devenue irréaliste – « ce que beaucoup savaient » –, en raison du surplace pratiqué lors du mandat Hollande. Pourtant, les militants écologistes lui reprochent moins l’abandon de la date butoir de 2025 que les circonstances qui ont entouré cette déclaration calamiteuse.

Tout d’abord, Nicolas Hulot ne fournit aucune date de substitution. « Il trouve logique de décaler la réalisation de l’objectif, mais on attendait un calendrier, avec le nombre de réacteurs à fermer. Au lieu de ça, il génère de l’incertitude, déplore Alix Mazounie. C’est encore du retard pris pour le déploiement des énergies renouvelables. » Le comble, donc, pour un ministre en charge de la transition énergétique.

Ensuite, son argumentation est directement inspirée de Réseau de transport électrique (RTE). Sur les cinq scénarios prospectifs produits par le dernier et très récent rapport de cette filiale d’EDF (à 50,1 %), Hulot retient les conclusions du plus caricatural, nécessitant le recours à des centrales à énergies fossiles (charbon et gaz naturel) pour couvrir la demande.

Par ailleurs, ce recul intervient alors que les discussions sur la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) viennent de démarrer. Cet exercice paritaire, piloté par le ministre de l’Écologie, doit livrer pour la période 2019-2028 des objectifs pour chaque filière – renouvelable mais aussi nucléaire. « Par cette décision qu’il endosse seul, en contravention avec la loi de transition énergétique, qui fixe le cap des 50 % à 2025, et avant même de considérer l’ensemble des scénarios prospectifs, Hulot se coupe lui-même l’herbe sous le pied, fulmine Anne Bringault. Qu’il prenne sa part de responsabilité ! »

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La sincérité de l’homme n’est pas remise en question. Une maladresse de ministre novice, instrumentalisé, mal conseillé ? Trop court, pour Alix Mazounie. « Quel besoin avait-il de se précipiter sur le scénario RTE, à peine publié ? Cette séquence de communication apparaît extrêmement orchestrée. Elle intervient notamment en plein sommet climat COP 23 de Bonn. »

Le ministre aurait été pris dans des enjeux débordant largement ses prérogatives. « On peut penser qu’il y a eu de très fortes pressions sur lui », soupçonne Anne Bringault. Alors qu’Emmanuel Macron s’est rendu à Bonn le 15 novembre pour la conclusion de la COP 23, la sortie de Nicolas Hulot sonne comme une réaffirmation de la différence française sous le nez de son grand voisin allemand, qui a planifié sa sortie intégrale du nucléaire pour 2022. Le président français, qui se voit jouer un rôle planétaire dans la lutte climatique depuis le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris de 2015, prépare également des initiatives sur le financement lors d’un sommet international qu’il a convoqué le 12 décembre à Paris.

« Je suis particulièrement scandalisée que l’on exploite l’argument climatique pour défendre le nucléaire », s’élève Anne Bringault. Fin octobre, le réseau Sortir du nucléaire, qui rassemble plus de 900 organisations, rencontrait la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) pour connaître ses intentions sur la PPE. « Nous avons bien compris que toutes les hypothèses étaient liées à la “stratégie nationale bas carbone” et que, par conséquent, nous n’obtiendrions pas de liste de réacteurs à fermer, rapporte Philippe Lambersens, administrateur du réseau. Rien n’a changé depuis François Hollande, l’État reste incapable d’aller à l’encontre d’EDF, société dont il détient pourtant la majorité. »

Le monde associatif discerne en effet sans peine la main de l’électricien derrière le « ralliement » de Hulot. « Fermer des réacteurs impose de recourir au charbon pour compenser la perte de production : c’est l’un des arguments les plus retors des pro-nucléaires », remarque Julien Bayou, l’un des porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts.

Le parti se voulait jusqu’alors attentiste et bienveillant envers l’action de Nicolas Hulot, dont l’entrée au gouvernement avait été présentée par ses proches comme le signe d’un intérêt nouveau du Président pour l’écologie. « On voit qu’il n’en est rien. On pouvait certes anticiper les difficultés du ministre, mais c’est pire que ce que nous redoutions », commente David Cormand. Pour le secrétaire national d’EELV, parti sinistré en phase de reconstruction, la séquence démontre l’utilité de l’écologie politique : « On entend dire que l’environnement est désormais pris en compte partout ; les événements démontrent le contraire. Je pense que l’opinion publique a parfaitement compris que Nicolas Hulot est en milieu hostile. »

D’autres cadres écolos tentent d’exploiter plus délibérément une « faute politique ». Pas question de dédouaner le ministre, pour Yannick Jadot. L’ex-candidat EELV à la présidentielle lui reproche de ne pas mettre en balance sa popularité dans l’opinion pour remporter plus d’arbitrages. « Esprit libre que l’on pensait capable de faire rempart par son indépendance, il est devenu une caution de Macron, lance Julien Bayou. Il fait même reculer la cause de l’écologie : nous avions remporté une victoire culturelle en faisant admettre que le nucléaire était une énergie peu sûre, chère, polluante et entravant le développement des renouvelables… »

Pourtant, à de rares exceptions près, aucun appel à la démission ne fuse : car quelle personnalité serait souhaitable aux manettes du ministère à la place du « premier écologiste de France » ? Et puis, à mots couverts, le camp écologiste guette la décision que Nicolas Hulot doit prendre en décembre sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. « Si c’est l’abandon, les avis changeront de tonalité », veut croire David Cormand. À défaut, on voit mal le ministre tenir à son poste, lui qui s’est octroyé « une année » pour juger de son utilité au gouvernement.

Écologie
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