Catalogne : Divisés, les indépendantistes infligent un camouflet à Rajoy

Le bloc indépendantiste, arrivé en tête aux élections régionales convoquées par Madrid, va désormais devoir faire face à ses propres fractures internes et aux obstacles judiciaires pour constituer sa majorité.

Laura Guien  • 22 décembre 2017 abonné·es
Catalogne : Divisés, les indépendantistes infligent un camouflet à Rajoy
© photo : JASPER JUINEN / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES/AFP

Résultat familier à l’issue d’élections hors du commun. Le « bloc indépendantiste », constitué de la coalition du président destitué Puigdemont « Junts per Catalunya » (« Ensemble pour la Catalogne »), de la gauche ERC et des anticapitalistes de la CUP, a réussi hier soir, par l’addition des fauteuils de ses composantes, à reconduire sa majorité au Parlement catalan à l’issue d’élections convoquées par Madrid, dans le cadre d’une campagne ayant atteint un niveau de polarisation maximale et une mobilisation record de près de 82 %. En récoltant 70 sièges sur 135, et près de 48 % des voix, « le bloc indépendantiste », dont les deux forces principales (ERC et PDeCAT, parti de Puigdemont) s’étaient cette fois présentées sur des listes séparées, remporte ainsi un résultat presque similaire à celui des précédentes élections régionales de 2015 qui avait vu leur coalition s’imposer à la tête de la région avec 72 députés, et ouvert le dernier grand chapitre en date de la « rébellion catalane » avec la tenue du référendum du 1er octobre dernier, interdit par Madrid.

Face aux indépendantistes, le bloc « constitutionnaliste », qui a soutenu la suspension de l’autonomie, était représenté par les libéraux de Ciudadanos, les socialistes catalans et le Parti populaire (PP) du Premier ministre Mariano Rajoy (droite). Il n’a pas réussi à s’imposer, et ce malgré les 25 % récoltés par Ciudadanos, parti arrivé en tête en Catalogne, qui avait fait du nationalisme espagnol son principal argument de campagne.

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Ces élections, un temps pressenties comme le coup de maître de Rajoy pour mettre un terme à la crise catalane en confrontant le bloc indépendantiste, extrêmement hétérogène, à ses propres divisions internes, auront finalement plaidé en faveur de l’indépendance. Et ce malgré des conditions particulièrement complexes pour le camp sécessionniste, dont les deux principaux leaders auront mené une campagne pour le moins atypique. Le président catalan destitué Carles Puigdemont, retiré en Belgique suite à l’arrestation par Madrid d’une partie de son gouvernement, a fait campagne depuis Bruxelles. Son ex-vice-président Oriol Junqueras (ERC), qui se présentait concurremment, est toujours en détention provisoire depuis la prison madrilène de Soto del Real en raison de son implication dans la tentative sécessionniste d’octobre dernier.

Un paysage politique renouvelé

Mais si le résultat de ces élections ressemble à une redite de 2015, il serait erroné de penser que la situation a fait un tour sur elle-même. Car en dehors du caractère indubitablement exceptionnel de la campagne, de nouveaux éléments sont venus rebattre les cartes de ce « défi souverainiste catalan », qui réussit, à chaque grande échéance, à se réinventer sans jamais sortir de la crise. À commencer par la performance du président sortant Carles Puigdemont. Car si les sondages donnaient la préférence à son ancien partenaire de gouvernement ERC, les résultats l’auront finalement imposé en tête du peloton indépendantiste (34 sièges). La stratégie du retrait en Belgique du président destitué aura sans doute mieux payé que l’extinction médiatique du leader de la gauche indépendantiste républicaine Oriol Junquras, qui n’a pu communiquer avec son électorat depuis sa cellule que par courrier, confiant ainsi l’incarnation de sa campagne à sa numéro deux, Marta Rovira (32 sièges).

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L’autre nouveauté du scrutin, bien que pressentie, demeure la performance électorale de Ciudadanos (37 sièges). Tout juste onze ans après sa création, le jeune parti représenté localement par Inès Arrimadas rafle un quart des voix et s’impose comme meneur de l’opposition à l’indépendantisme. Une position régionale qui pourrait avoir des répercussions au niveau national, et se muer en réelle menace pour le PP, en situation d’échec profond dans sa gestion de la crise catalane (3 sièges contre 11 dans la précédente assemblée). Les résultats obtenus ce 21 décembre sont en effet à l’image de cette débâcle : le parti aux affaires à Madrid, et à l’origine de la suspension de l’autonomie catalane, récolte le pire résultat de son histoire avec moins de 5 % des voix, perdant ainsi son propre groupe au Parlement. En banlieue de Barcelone, Badalona reflète cette chute : Xavier García Albiol, candidat du PP et maire de la ville, est ainsi passé de la seconde à la sixième place, perdant plus de la moitié de ses votes.

À gauche, la coalition de la maire de Barcelone et de Podemos « En Comú Podem » est également dans une situation délicate. Plaidant pour un référendum légal reconnu par Madrid, la coalition, qui a axé sa campagne sur les questions sociales et son potentiel rôle clé dans le déblocage de la crise catalane, paie cher sa stratégie de non polarisation : avec 8 sièges et 7,46 % des voix, cette représentation de Podemos en Catalogne perd le rôle charnière qu’elle aurait pu jouer en négociant une alliance majoritaire avec les vainqueurs. Une situation qui exacerbe un autre élément de complexité pour la suite : « Ces élections se sont jouées sur deux axes : souverainisme-constitutionnalisme et droite-gauche. Si, dans le premier axe, la force de l’indépendantisme s’est maintenu, dans le second la gauche s’est fragilisée », analyse Jesús Maraña dans les colonnes d’InfoLibre.

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Les résultats de la CUP (4 sièges), soutien nécessaire à la première majorité de 2015 et qui aura joué un rôle majeur dans l’accélération du processus souverainiste et l’organisation du référendum d’octobre, traduit parfaitement ce double niveau de lecture du scrutin. Comme le Partido Popular, le parti d’extrême gauche anticapitaliste perd sa représentation au Parlement, mais reste néanmoins nécessaire à la constitution d’une majorité indépendantiste. Et pour ce parti toujours en faveur d’une solution unilatérale, le nombre de sièges importe moins que son potentiel à marquer l’agenda et à mobiliser la rue. « Nous ferons valoir nos quatre sièges pour construire la République. Unilatéralement. Parce qu’il n’y a pas d’autre voie possible », a déclaré son candidat Carles Riera i Albert à l’annonce des résultats.

Incertitudes sur l’investiture du nouveau gouvernement

De fait, si le scrutin n’a pas résolu la crise indépendantiste, il n’aura pas non plus lissé les dissensions internes au sein d’un bloc qui semble afficher des priorités différentes vis-à-vis de l’agenda souverainiste. En novembre dernier, le président Puigdemont avait ainsi nuancé sa position face à l’indépendance unilatérale : « Je suis disposé, et j’ai toujours été disposé, à accepter la réalité d’une autre relation avec l’Espagne », avait-il déclaré dans les colonnes du quotidien belge Le Soir.

En dépit de leur nouvelle majorité, les indépendantistes vont donc se confronter à une investiture complexe. « Deux difficultés majeures se présentent : les divisions potentielles internes au bloc indépendantiste et le fait que près de huit députés élus sont à Bruxelles en exil, ou bien en prison préventive. Que l’on ne sache pas encore comment ces députés vont se rendre à Barcelone pour voter la majorité laisse planer beaucoup d’inconnues », reconnaît le politologue Jorge Galindo. « Pour être investi de nouveau comme président, Puigdemont devra revenir en sachant qu’il ira en prison et que les votes de conseillers emprisonnés comme des fugitifs seront nécessaires pour valider le gouvernement catalan », écrit également, Ignacio Escolar, directeur du quotidien El Diario. Reste que malgré les difficultés politiques et légales, les élections du 21 décembre viennent d’offrir une véritable rampe de lancement au récit mis en place par Puigdemont depuis son départ à Bruxelles. « Face au gouvernement central, face aux sceptiques au PDeCAT et au mouvement indépendantiste, Puigdemont essaie et essaiera de maximiser les résultats, poursuit Galindo. Le message est le même que celui de la campagne : « Je suis le président légitime ». »

De fait, ce dernier s’est exprimé au lendemain du scrutin depuis Bruxelles, pour exiger une « négociation sans conditions » avec le premier ministre espagnol. « Je suis disposé à me réunir à Bruxelles ou dans tout autre lieu de l’Union européenne avec Rajoy », a annoncé Carles Puigdemont, se hissant comme il l’avait déjà tenté précédemment à la hauteur de l’État espagnol dans le conflit territorial. Et s’attirant immédiatement un refus du Premier ministre.

Prévisible, et dilatoire : fragilisé par son fiasco (redoublé) dans la crise catalane, la montée de Ciudadanos, et sa persistance à déléguer la gestion du conflit à la sphère judiciaire, Mariano Rajoy vit une situation de plus en plus inconfortable. Le grand échec que vient de lui infliger le scrutin du 21 décembre semble imposer, inéluctablement, la mise en place d’un dialogue politique, impliquant désormais toutes les composantes de cet échiquier divisé, unionistes comme séparatistes.

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