Étienne de Silhouette : Son ennemi, c’était la finance…

Éphémère ministre de Louis XV, Étienne de Silhouette s’en prit aux privilèges de l’aristocratie. Drôle de profil !

Olivier Doubre  • 31 janvier 2018 abonné·es
Étienne de Silhouette : Son ennemi, c’était la finance…
© photo : Philippe Lissac/Godong/Photononstop/AFP

Connaissez-vous monsieur de Silhouette ? Si le patronyme est devenu un terme du vocabulaire courant, l’histoire de celui qui fut – brièvement – surintendant des Finances de Louis XV a été totalement oubliée, et même volontairement gommée de l’histoire. « Avec un sens inné de la communication de masse, les grands financiers et la noblesse n’ont de cesse de faire oublier le nom propre Silhouette au profit du nom commun qu’ils répandent dans les libelles, les pamphlets, les chansons, et qui désigne désormais des objets ou des actes sans valeur, avant de se figer autour de ce qui est simplement esquissé ». Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en effet, « les portraits dessinés de profil reçoivent le nom du contrôleur général des Finances ».

Né en 1709 dans une famille aisée de Limoges, de petite noblesse, le jeune Étienne est un élève sérieux, à l’esprit curieux, vite extrêmement cultivé. À 19 ans, il entreprend, comme la plupart des jeunes nobles de l’époque, son « Grand Tour » : un périple – dans son cas à travers l’Italie, l’Espagne et le Portugal – afin de parfaire son éducation et de nouer quelques amitiés parmi les personnes influentes des pays visités. Il raconte ce voyage dans un long ouvrage où il décrit particulièrement les systèmes politiques et économiques des nations traversées. Mais il est surtout sensible à l’extrême misère des peuples, qui contraste avec l’oisiveté et le luxe ostentatoire des puissants de l’époque. « Affirmer que Silhouette, dès ses premiers livres, a prophétisé la Révolution n’est en rien une allégation hâtive, écrit ainsi son biographe, Thierry Maugenest, car l’ensemble de ses écrits n’ont cessé d’alerter ses lecteurs sur cette extrémité. » Il est même « convaincu que l’aristocratie participe à l’affaiblissement de la nation », et donc de « la nécessité de rééquilibrer les richesses au sein de la société ». On pourrait dire de lui qu’il pense, comme le « Guépard » de Visconti, que « tout doit changer pour que rien ne change », tant il est persuadé qu’il faut agir « avant la venue d’une révolte de grande ampleur », essayant par là de « sauver le régime auquel il reste attaché par sa naissance »

Après une longue ascension à la cour, Silhouette devient en mars 1759 ministre des Finances (grâce à la marquise de Pompadour). Très vite, il s’attaque alors aux privilèges de la noblesse et autres titulaires de pensions royales, ou à la caste des financiers des Fermiers généraux – qui s’enrichissent en ponctionnant une partie des taxes et impôts qu’ils sont censés récolter pour la couronne. Enfin, il impose les puissants, supprimant d’un côté les taxes sur les denrées alimentaires qui écrasent le peuple, en créant d’autres sur les signes extérieurs du luxe : carrosses, domestiques, bijoux, etc. Si sa politique est une réussite pour les finances royales et devient très populaire parmi le peuple, elle suscite immanquablement la colère des nobles. S’en prendre aux puissants n’est jamais sans danger. Enrageant de devoir payer – comme le peuple – des impôts, ils ne seront, en revanche, pas avares de calomnies pour détruire la légitimité du ministre honni auprès du roi et le couvrir de ridicule. En fonction depuis à peine de huit mois, monsieur de Silhouette devra bientôt démissionner, avant de sombrer dans l’oubli et de devenir l’objet de toutes les moqueries…

Étienne de Silhouette (1709-1767). Le ministre banni de l’histoire de France, Thierry Maugenest, La Découverte, 222 p., 18 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Tout ce qu’Israël fait aux Palestiniens justifie que j’embarque dans ce bateau »
Entretien 30 septembre 2025 abonné·es

« Tout ce qu’Israël fait aux Palestiniens justifie que j’embarque dans ce bateau »

Issue d’une famille de résistants au nazisme, la militante de 83 ans Isaline Choury a lutté toute sa vie contre le racisme, le fascisme et l’antisémitisme. Dénonçant le suprémacisme blanc et le colonialisme persistant des État occidentaux qui soutiennent Israël, elle se trouve actuellement à bord d’un navire de la Freedom Flotilla Coalition.
Par Pauline Migevant
« Les sciences sociales sont dans le viseur de la droite et l’extrême droite dans beaucoup de pays »
Entretien 29 septembre 2025 abonné·es

« Les sciences sociales sont dans le viseur de la droite et l’extrême droite dans beaucoup de pays »

Corédacteur en chef d’Actes de la recherche en sciences sociales, revue fondée par Pierre Bourdieu en 1975, Julien Duval revient sur le demi-siècle d’une publication aussi atypique que transdisciplinaire et prestigieuse scientifiquement.
Par Olivier Doubre
À Marseille, le savoir résiste aux faiseurs de peur
Reportage 29 septembre 2025 abonné·es

À Marseille, le savoir résiste aux faiseurs de peur

Le festival Allez Savoir de l’EHESS, dont Politis est partenaire, organisait sa 6e édition à Marseille sur un enjeu brûlant : « Informer / S’informer / Déformer ». Dans un monde saturé de récits anxiogènes et de fake news, chercheur·ses, élèves, journalistes et citoyen·nes se sont retrouvés pour interroger la fabrique de l’information.
Par Pierre Jacquemain
Trop souvent, les salauds meurent dans leur lit
Essai 24 septembre 2025 abonné·es

Trop souvent, les salauds meurent dans leur lit

L’avocat Philippe Sands, spécialiste de droit international, interroge la question de l’impunité à partir de l’épisode de l’arrestation de Pinochet à Londres en 1998, et des criminels nazis réfugiés en Amérique latine. Un thriller juridique passionnant.
Par Olivier Doubre