Service public : Une bataille pour l’intérêt général

Cheminots et agents des fonctions publiques ont des revendications différentes. Ils convergent toutefois sur la nécessaire défense du service public, attaqué de toutes parts par le gouvernement.

Michel Soudais  • 21 mars 2018 abonné·es
Service public : Une bataille pour l’intérêt général
Manifestation de Sud-Rail, le 12 mars 2018 près de la gare de Lyon, à Paris.
© GERARD JULIEN/AFP

Trop coûteux, trop rigides… Les services publics sont dans le collimateur du gouvernement. Ce dernier ayant décidé de réduire la dépense publique de 54,7 % du PIB en 2017 à 51,1 % en 2022 et de se délester sur la même période de 120 000 fonctionnaires (50 000 dans la fonction publique d’État, 70 000 dans la fonction publique territoriale), il multiplie à cette fin les mesures d’économie et les réformes.

Les premières ont frappé, dès l’été dernier, les 5,4 millions d’agents des fonctions publiques au portefeuille avec les décisions de ne pas revaloriser en 2018 le point d’indice à partir duquel est calculé leur rémunération, comme cela avait été le cas de 2010 à 2016, de rétablir le jour de carence en cas d’arrêt maladie, et de reporter d’un an l’application d’un plan de revalorisation des carrières. Mi-octobre, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, annonçait en outre aux fonctionnaires que l’augmentation de la CSG serait tout juste compensée, contrairement à l’engagement d’Emmanuel Macron d’augmenter leur pouvoir d’achat.

Les annonces de réformes, elles, se succèdent à un rythme effréné et n’épargnent aucun secteur : hôpitaux, justice, Éducation nationale, Météo France… Déterminé à « transformer notre modèle social », Emmanuel Macron dixit, le gouvernement a mis en place, mi-octobre, un Comité action publique 2022, composé d’économistes, d’élus et de personnalités du public et du privé, « chargé de mener une profonde revue des missions et dépenses de l’ensemble des administrations publiques ». Et annoncé le 1er février, sans même attendre les conclusions du Comité, son intention d’assouplir le statut de fonctionnaires, de réduire le nombre des instances représentatives du personnel suivant le schéma de la loi travail, d’élargir le recours aux contractuels et d’aller vers une individualisation des rémunérations. Un big-bang, assorti de l’ouverture d’un « plan de départ volontaire », que Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT, n’est pas seul à dénoncer comme « une atteinte frontale à la fonction publique ».

En réaction, sept des neufs syndicats représentatifs de fonctionnaires (CGT, FO, FSU, Solidaires, CFTC, CFE-CGC et FA-FP) ont décidé le 6 février d’appeler à une journée de grève et de mobilisation le 22 mars, pour la défense du pouvoir d’achat des agents et contre une fonction publique « morcelée » et « externalisée ». Plus de 140 manifestations de fonctionnaires sont ainsi prévues dans toute la France.

Le gouvernement ayant entretemps fait connaître son intention de réformer la SNCF par ordonnances en prévision de l’ouverture du rail à la concurrence, les quatre principaux syndicats de cheminots (CGT, CFDT, Unsa, SUD-Rail) ont également appelé, pour ce même 22 mars, à une manifestation nationale à Paris contre, entre autres, la transformation du groupe ferroviaire en société anonyme et la fin du statut des cheminots à l’embauche.

Que ce soit dans les fonctions publiques ou à la SNCF, les syndicats pointent une même logique libérale attentatoire à la qualité du service public et à l’intérêt général. Et dénoncent des concertations en trompe-l’œil qui ne tiennent aucun compte de leur expertise et de leurs propositions alternatives.

Révélant une volonté de passer en force, le gouvernement et ses soutiens ne ménagent pas leurs efforts pour présenter fonctionnaires et cheminots comme des privilégiés, multipliant poncifs et mensonges. « Le gouvernement n’a d’autre choix que de gagner son bras de fer contre les cheminots, explique ainsi le président d’un think tank libéral dans L’Opinion (20 mars). S’il cède sur l’essentiel, le manque de profondeur des réformes pourrait devenir un marqueur du quinquennat et réinstaller le doute dans la tête des chefs d’entreprise et des investisseurs alors fondés à penser que la France ne change pas. » On l’aura compris, l’enjeu de la bataille qui commence ce 22 mars, les syndicats ayant prévu de conduire une grève perlée jusqu’en juin, dépasse de beaucoup la seule SNCF. En s’y attaquant sans délai, alors que son programme n’en soufflait mot, Emmanuel Macron entend mater un des rares secteurs professionnels, sinon le seul, capables de lui opposer une résistance économiquement coûteuse. Et s’assurer d’avoir le champ libre pour « transformer » le pays, et notamment notre système de retraite, conformément aux souhaits des marchés financiers.

À cette aune, l’intérêt du plus grand nombre, et notamment des usagers des transports publics, est de défendre les services publics et ceux qui les font vivre.

Économie Société
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