Une belle palme d’or pour un palmarès inégal

Le jury de Cate Blanchett couronne « Une affaire de famille », de Hirokazu Kore-Eda, et donne le prix du jury à son affreuse antithèse, « Capharnaüm », de Nadine Labaki.

Christophe Kantcheff  • 19 mai 2018
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Une belle palme d’or pour un palmarès inégal
Crédit : Anne-Christine POUJOULAT / AFP

On l’a échappé belle ! Bien qu’il faille se méfier des rumeurs. Mais celle-ci, attribuant la palme d’or à Capharnaüm, était si insistante sur la Croisette que nous sommes un certain nombre à ressentir un vrai soulagement devant cette catastrophe évitée. Pour le reste, la soixante-et-onzième édition du festival de Cannes a proposé une sélection en compétition de bonne tenue, ce que le jury de Cate Blanchett a su refléter dans son palmarès, à quelques exceptions près. Principal regret : l’absence de Leto, le film de Kirill Serebrennikov sur l’émergence de la scène rock en URSS au début des années 1980.

Palme d’or

Une affaire de famille, de Hirokazu Kore-Eda

Rien à redire, c’était mon choix. Cette palme a une grande portée éthique en raison du point de vue que le cinéaste a sur ses personnages, en particulier sur les enfants.

Palme d’or spéciale

Le Livre d’image, de Jean-Luc Godard

Le règlement du festival interdit désormais de décerner une palme d’or ex-aequo. Dommage. Cela aurait eu de la gueule de la partager entre le cinéaste japonais et le voyant de Rolle. Cette « palme d’or spéciale » revient, a déclaré Cate Blanchett, à « un artiste qui fait avancer le cinéma, qui a repoussé les limites, qui cherche sans arrêt à définir et redéfinir le cinéma ». Pour le moins.

Grand prix

Blaskkklansman, de Spike Lee

Une bonne surprise à tous points de vue : l’attribution de ce prix prestigieux, et le film lui-même, une vraie comédie politique hilarante et dénonciatrice du racisme aux Etats-Unis, des années 1970 à aujourd’hui, avec Donald Trump en ligne de mire.

Prix du jury

Capharnaüm, de Nadine Labaki

Un film d’une indignité sans nom. L’instrumentalisation de l’enfance misérable de Beyrouth pour faire pleurer Margot. Du misérabilisme à outrance. Et pour parachever le mauvais goût, la touche Unicef : sourire du gamin sur le générique de fin.

Prix d’interprétation féminine

Samal Yesyamova, dans Ayka, de Serguei Dvortsevoy

Samal Yesyamova, alias Ayka réalise une performance impressionnante dans le rôle d’une réfugiée kirghize sans papiers à Moscou. Le cinéaste kazakh suit son personnage comme une bête souffrante, traquée, un peu à la manière des Dardenne avec Rosetta. Au-début du film, Ayka abandonne son bébé à la maternité parce qu’elle n’a pas les moyens de l’élever. Puis c’est l’histoire d’une lutte sans merci pour survivre dans un Moscou raciste et hostile.

Prix d’interprétation masculine

Marcello Fonte, dans Dogman, de Matteo Garrone

C’est le premier grand rôle interprété par ce comédien, qui semble pouvoir tout jouer. Une révélation.

Prix de la mise en scène

Cold War, de Pawel Pawlikowski

Ce prix est un contre-sens : le film du cinéaste polonais est terriblement esthétisant. L’image, carrée et en noir et blanc, comme celle de son opus précédent, Ida (2013), semble avoir été posée sur papier glacé. Rien ne vibre, tout est enluminé. Prix de la mise en bière, plus exactement.

Prix du scénario

Ex-aequo Alice Rohrwacher pour Heureux comme Lazzarro, et Nader Saeivar et Jafar Panahi pour trois visages.

Une bonne chose pour le film passionnant du cinéaste iranien, qui a rendu hommage à Abbas Kiarostami dans son texte de remerciement, lue par sa fille, puisqu’il n’est pas autorisé à sortir de son pays. Quant à Heureux comme Lazzarro, aux accents marxo-mystiques, il semble lorgner vers Pasolini, mais peut-être est-ce dû à un problème de vue…

Cette chronique de Cannes s’achève ce soir avec le festival. Merci aux lectrices et aux lecteurs qui l’ont suivie. Rendez-vous pour un bilan plus étayé de cette riche édition cannoise dans l’hebdo à paraître jeudi prochain.

Temps de lecture : 3 minutes
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