1938, des échos très familiers

Le philosophe Michaël Fœssel s’est plongé dans la presse de l’année 1938. Il y a découvert une langue et des préoccupations très proches de ce que nous vivons aujourd’hui. Sans tomber dans le cliché du « retour » des années 1930.

Olivier Doubre  • 3 avril 2019 abonné·es
1938, des échos très familiers
© photo : Une manifestation à Caen en 2015.crédit : Artur Widak/NurPhoto/AFP

Ce livre est d’abord l’histoire d’une « rencontre », d’une « collision virtuelle des années » : 2018 et 1938. Le récit d’un voyage dans une époque, lointaine aux premiers égards, et si peu éloignée au fond. Car, comme le précise son auteur, Michaël Fœssel, « j’ai vu en 1938 des mots d’ordre, des réflexes de pensée, des éléments de langage qui structurent l’ordinaire de la politique française depuis longtemps ». Il retrouve, surtout, des sujets de débats politiques tout à fait familiers, outre un vocabulaire, une atmosphère et des obsessions, qui montrent « beaucoup plus qu’une assonance » entre 1938 et 2018. Philosophe « inquiet du présent », Michaël Fœssel se plonge ainsi dans la presse de l’année 1938, et « l’impression que ces deux périodes s’entrechoquent sort renforcée de la quasi-instantanéité entre l’immersion dans le passé et le retour au présent ».

Toutefois, on ne saurait ajouter ce livre à la pile (déjà trop fournie) d’ouvrages, généralement assez faibles, consacrés à ce qui est devenu un couplet attendu : celui d’un prétendu « retour » des années 1930 qui marquerait notre époque. Michaël Fœssel rappelle ainsi que « la différence des temps rend la répétition historique impossible » : si « les années 1930 furent aussi celles du music-hall », rappelle-t-il, « personne ne s’attend à voir Maurice Chevalier remonter sur la scène du Casino de Paris » ! Aussi, les événements, souvent tragiques, de l’année 1938 dans laquelle Michaël Fœssel s’immerge littéralement, ne sont pas pour lui la source d’une vague explication de notre époque, mais lui permettent de s’interroger sur « ce qui a rendu possible, donc sur l’essence » de l’époque. La vraie question pour l’auteur n’est pas de savoir si les années 1930 pourraient « revenir », mais plutôt « de quoi sont-elles la manifestation, et en avons-nous définitivement fini avec cela ? » Car sa lecture systématique des journaux de l’année 1938 s’opère en prenant garde à ne pas les lire avec les yeux de celui qui connaît « la suite », la débâcle française de 1940, la Seconde Guerre mondiale, la Shoah…

Or, 1938 est l’année de l’enterrement des conquêtes du Front populaire, de répressions féroces et de criminalisation des mouvements sociaux, et de mesures iniques contre les étrangers (dont de nombreux réfugiés d’États totalitaires) avec la création des premiers camps. Et Michaël Fœssel d’affirmer qu’il décèle, à travers ses lectures, « une société qui, sans rien savoir de ce qui l’attendait, avait déjà abdiqué sur l’essentiel ». Non sans nous mettre en garde : « Le détour par 1938 permet de voir en accéléré une démocratie qui prétend se défendre en empruntant les armes de ses adversaires les plus acharnés. »

Récidive. 1938, Michaël Fœssel, PUF, 180 pages, 15 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Caroline Chevé : « La situation en cette rentrée scolaire est très inquiétante »
Entretien 1 septembre 2025 abonné·es

Caroline Chevé : « La situation en cette rentrée scolaire est très inquiétante »

C’est l’un des nouveaux visages du monde syndical. La professeure de philosophie a pris la tête de la FSU, première fédération syndicale de l’enseignement, au début de l’année. C’est dans ce nouveau rôle qu’elle s’apprête à vivre une rentrée scolaire et sociale particulièrement agitée.
Par Pierre Jequier-Zalc
Violences sexuelles : et si le « oui » ne valait rien ?
Idées 28 août 2025 abonné·es

Violences sexuelles : et si le « oui » ne valait rien ?

L’inscription de la notion de consentement dans la définition pénale du viol a fait débat l’hiver dernier à la suite du vote d’une proposition de loi. Clara Serra, philosophe féministe espagnole, revient sur ce qu’elle considère comme un risque de recul pour les droits des femmes.
Par Salomé Dionisi
Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël »
Entretien 27 août 2025

Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël »

Alors que l’Assemblée générale de l’ONU se réunit en septembre et que le génocide perpétré par Israël à Gaza se poursuit, la docteure en droit international public Inzaf Rezagui rappelle la faiblesse des décisions juridiques des instances internationales, faute de mécanisme contraignant et en l’absence de volonté politique.
Par Pauline Migevant
Le ressentiment, passion triste et moteur des replis identitaires
Société 29 juillet 2025

Le ressentiment, passion triste et moteur des replis identitaires

Dans ce texte puissant et lucide, l’historien Roger Martelli analyse les racines profondes d’un mal-être né des blessures sociales et de l’impuissance à agir. À rebours des discours simplificateurs, il en retrace les usages politiques, notamment dans la montée des extrêmes droites, qui savent capter et détourner cette colère refoulée vers l’exclusion et la stigmatisation de l’autre.
Par Roger Martelli