Le maintien de l’ordre à Toulouse vivement critiqué dans un rapport

Après visionnage de 4 600 photos et 50 heures de vidéos, l’Observatoire des pratiques policières pointe une dérive violente du maintien de l’ordre dans la Ville rose depuis le début du mouvement des gilets jaunes.

Romain Haillard  • 18 avril 2019
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Le maintien de l’ordre à Toulouse vivement critiqué dans un rapport
© Romain Haillard

Il faudrait une « remise à plat profonde de la doctrine du maintien de l’ordre en France ». Les membres de l’Observatoire des pratiques policières (OPP), fondé par la Ligue des droits de l’homme (LDH), la Fondation Copernic et le Syndicat des avocats de France (SAF), concluent ainsi leur rapport publié ce mercredi. Dans ce document d’une centaine de pages, fruit d’un travail de terrain et d’analyses dans les manifestations toulousaines étalés sur deux années, les observateurs constatent une dérive sécuritaire dans l’encadrement policier des cortèges. Une dérive accélérée depuis le début du mouvement des gilets jaunes.

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« Tous les ingrédients étaient réunis. Après la lutte contre la loi El Khomri, nous avions constaté des dispositifs policiers complètement délirants », commente Pascal Gassiot, coordinateur de l’OPP, dont les bénévoles, avec leurs dossards de sécurité floqués « Observateurs », sont connus de tous les Toulousains. Surtout des forces de l’ordre. Par groupe de trois, postés en queue, au milieu et en tête de cortège, ces bénévoles documentent en images les mobilisations au cœur de la Ville rose.

En soi, le rapport ne surprend pas. Il valide un durcissement déjà largement commenté par les militants et de nombreux journalistes. Mais sa force réside ailleurs. « Notre pari : faire un rapport par la preuve et non pas par le discours », souligne le coordinateur : 4 600 photos et 50 heures de vidéos sur près de 50 manifestations. Un travail méthodique et encadré. « Nous l’avons fait de manière engagée », admet Pascal Gassiot, « mais avec une méthode scientifique. » L’intégralité du rapport a été supervisée par Daniel Welzer-Lang, professeur de sociologie à l’Université Jean-Jaurès et chercheur au CNRS.

Zéro pointé pour la BAC

La première page du rapport est illustrée par une photo de policiers de la brigade anti-criminalité (BAC). Pascal Gassiot explique ce choix : « Ça s’est imposé à nous, comme une évidence. Elle peut être interprétée comme un résumé du rapport. Par leur attitude, ils provoquent le rejet, la haine et la violence chez les manifestants. » Acte après acte, ces unités ont affirmé de plus en plus leur présence et leurs méthodes. Avant 16h30, les compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les gendarmes mobiles – formés spécifiquement pour le maintien de l’ordre – encadrent les cortèges dans le calme.

Venue l’heure fatidique, les unités mobiles de la BAC resserrent l’étau, dispersent, poursuivent. Leur attitude agressive déborde largement du cadre professionnel. Régulièrement, ces policiers en civil photographient les contestataires avec du matériel personnel, non prévu à cet effet. Les observateurs s’inquiètent : « Le fait que ces photos soient prises à l’aide d’un smartphone ne peut qu’interroger sur le devenir de ces photos… » Mise à part les insultes et autres tactiques d’intimidation, l’usage des armes questionne.

« La nouveauté c’est l’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD) », relève le coordinateur de l’OPP. Le rapport constate :

À la différence notable de la période d’observation des manifestations avant la séquence des gilets jaunes, durant laquelle les policier-e-s n’étaient pas, visiblement du moins, équipé-e-s de LBD, les manifestations des gilets jaunes ont été caractérisées par un usage très important de LBD.

Le traitement des vidéos et photos le confirme. Avant le 1er décembre, cette arme était absente de l’armement policier.

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« Les policiers doivent entamer une introspection »

La présence de la BAC chaque samedi trouve une explication : celle de la judiciarisation du maintien de l’ordre. Multiplier les interpellations, systématiser les poursuites et faire preuve de fermeté deviennent la règle. Dans son rapport, l’OPP a restitué la veille d’information du Collectif AutoMédia Étudiant (Camé). Ce groupe répertorie les peines prononcées contre les militants interpellés pendant la loi travail et pendant le mouvement des gilets jaunes. Bilan de la répression policière et judiciaire deux années auparavant : plus de 120 heures d’interdictions de séjour pendant les manifestations, 30 mois de prison dont 6 mois fermes. Pour les gilets jaunes : 204 mois de prison avec sursis et 135 mois de prison ferme, 64 ans d’interdiction de séjour ou de manifester sur Toulouse.

Le rapport formule des recommandations : interdire certains armements dont le LBD et bannir la BAC des dispositifs policiers. L’OPP se défend de définir à quoi pourrait ressembler un « bon » maintien de l’ordre et enjoint les autorités publiques à y réfléchir. « C’est aux policiers d’entamer cette introspection et de lire notre rapport », déclare Pascal Gassiot. Avant de conclure : « Mieux vaut un abribus cassé qu’une manifestation qui dégénère… Ici, c’est le maintien de l’ordre qui a volé en éclat. »

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