Un piège électoral pour LFI ?

Assagis, les Insoumis parlent moins de leur plan B (quitter l’UE) pour évoquer une plus prudente « sortie des traités ». Une stratégie pour l’instant peu porteuse.

Agathe Mercante  • 24 avril 2019 abonné·es
Un piège électoral pour LFI ?
© photo : Une conférence de presse de candidats de la liste LFI, le 28 mars à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor).crédit : Martin Bertrand/Hans Lucas/AFP

P rem’s ! », crânent-ils. Les membres de La France insoumise (LFI) savourent leur victoire même si, pour l’heure, elle n’est qu’idéologique. Premiers à avoir abordé la question d’une sortie des traités – ou de l’Union européenne, c’est selon –, les cadres de LFI sont heureux de voir enfin leurs idées gagner du terrain. Le week-end des 13 et 14 avril, à Stockholm, s’est tenu le 6e « sommet du plan B », avec la participation de plusieurs groupes politiques issus de toute l’Europe.

En verve, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a même lancé le dimanche une grande campagne sur les réseaux sociaux, hissant le mot-dièse #SortirDesTraités en tête des plus utilisés sur Twitter ce jour-là. Un « soft power » dont ses membres ne cessent de se féliciter. « Ceux qui, depuis le début, voulaient agir “à traités constants”, comme Benoît Hamon, ou ne pas les modifier, comme EELV, se sont rendu compte qu’il fallait d’abord les changer », claironne Matthias Tavel, orateur national de LFI et 20e (non éligible donc) sur la liste pour les européennes (1).

En 2017, le candidat Jean-Luc Mélenchon défendait encore le « plan A » (renégociation des traités) autant que le « plan B » (désobéissance et sortie). Mais, avec les succès du mouvement, de son programme et de sa stratégie, les cartes ont été rebattues. « Progressivement, le plan B s’est effacé », raconte le socialiste insoumis Liêm Hoang-Ngoc, qui a désormais pris ses distances avec LFI.

« Pour rompre avec ces traités, nous proposons une stratégie claire et démocratique combinant négociations et désobéissances immédiates autour d’un plan A et d’un plan B », peut-on toujours lire dans le programme insoumis pour les européennes, lequel précise que le « préalable est de sortir des traités européens ». Mais il n’est désormais plus question de « stopper la contribution française au budget » ou de réquisitionner la Banque de France.

« Aller au bout du plan B, c’est dire qu’on doit sortir de l’union monétaire », résume Liêm Hoang-Ngoc. Une perspective qui effraie beaucoup d’électeurs à gauche. Et les opposants à LFI, tous bords confondus, ne se privent pas de le pointer. Récupérer une souveraineté économique ? C’est sortir de l’euro. Augmenter la dépense publique et désobéir à la règle d’or de façon non concertée ? C’est sortir de l’euro. Revenir sur l’indépendance de la Banque centrale européenne ? C’est sortir de l’euro.

À l’inverse, les Insoumis tentent de rassurer : « La sortie de l’Union européenne n’est pas un préalable pour mener une politique de rupture avec le libéralisme », peut-on lire sur un prospectus. « Il est déraisonnable, et vraiment peu ambitieux, de dire que le plan B français pourrait correspondre au Frexit, soit la sortie unilatérale de la France isolée », pointait dans un post Facebook le député Éric Coquerel. « Ce n’est pas un tabou, avance Matthias Tavel, mais le Frexit n’est pas un but en soi. » Et Manon Aubry, tête de liste pour les européennes, d’enfoncer le clou : « Une bonne fois pour toutes : nous ne sommes pas pour le Frexit. »

Ne pas sortir de l’UE, donc, mais en brandir la menace pour faire plier les autres États-membres. Qu’arriverait-il, toutefois, s’il prenait à ces États l’envie de dire « non », en dépit du poids de la France ? Une hypothèse que n’envisagent pas les Insoumis, et dont la perspective inquiète nombre d’électeurs – surtout ceux des européennes. Alors que LFI a rassemblé 19,6 % des voix en 2017 autour de Jean-Luc Mélenchon, il est probable qu’elle soit loin d’un tel score fin mai. Car deux électorats se rejoignent derrière le drapeau insoumis : les classes populaires, davantage abstentionnistes et critiques à l’égard de l’UE, et des électeurs plus urbains, bien moins convaincus par les discours anti-Union. « Il est difficile de connecter deux électorats sur deux récits différents ; quand on a de la chance, ils s’additionnent, quand on n’en a pas, ils se soustraient », théorise un écologiste. Selon les derniers sondages, c’est le « moins » qui l’emporte pour l’heure : avec 7 % des intentions de vote, LFI est distancée par EELV et talonnée par la très europhile liste Glucksmann-PS.


(1) Il est également auteur d’Insoumis, en Europe aussi ! (Borrego, 2018) et corédacteur du programme pour les européennes.


À lire aussi dans ce dossier :

Pourquoi l’Europe sociale n’a pas eu lieu

Sortir des traités : La gauche frileuse

Le « miracle » portugais

Aurélie Trouvé : « Il faut désobéir aux traités, pas en sortir »