Cinquante-deux nuances de vert

Même si les membres du groupe écolo au Parlement européen affichent de nombreuses particularités, ils restent les plus cohérents, en dépit de 18 pays représentés.

Agathe Mercante  • 1 mai 2019 abonné·es
Cinquante-deux nuances de vert
© photo : Un meeting des Verts européens, le 10 avril à Villeurbanne, avec l’Allemande Ska Keller (à gauche), Yannick Jadot et Eva Joly.crédit : JEFF PACHOUD/AFP

Les apparences sont parfois trompeuses. Il est en effet difficile d’imaginer ensemble les 52 élus qui composent le groupe Les Verts-Alliance libre européenne du Parlement européen, tant ils viennent d’horizons (18 pays) et de cultures (centralisme, fédéralisme) différentes. Comment imaginer que les Allemands de Bündnis 90-Die Grünen puissent cohabiter avec les Espagnols d’Iniciativa per Catalunya Verds ? Là où les uns gouvernent la région de Rhénanie-Palatinat et la ville d’Hambourg avec les sociaux-démocrates du SPD, et vont même jusqu’à tenir la région de Bade-Wurtemberg avec les chrétiens-démocrates de la CDU, les autres appartiennent à une formation néo-communiste et écologiste. Et pourtant… Alors qu’une pareille amplitude idéologique ferait exploser n’importe quelle formation à l’échelle nationale, le groupe fondé en 1999 se porte bien. « Nous avons mené et remporté de grandes batailles », se félicite Karima Delli, eurodéputée d’Europe écologie-Les Verts et sixième sur la liste de Yannick Jadot pour les prochaines européennes.

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La création d’une commission d’enquête européenne sur le « Dieselgate », c’était eux ; l’imposition de normes d’émission de CO2 pour les poids lourds, encore eux ; l’interdiction de la pêche électrique, toujours eux. Cette mandature parsemée de réussites, ils l’expliquent avant tout par leur unité. En effet, le groupe des Verts européens est le plus soudé des groupes du Parlement européen, avec un « taux de cohésion » (votes identiques) de 95,3 % (1).

Une victoire pour cette formation composite, tiraillée entre une écologie des plus radicales, et une autre nettement plus progressiste. « La clé, c’est qu’on se parle, qu’on essaie toujours de trouver une issue vers le haut », explique Karima Delli. « Les écologistes européens gardent pour l’essentiel un socle commun », constate Pascal Durand. L’ancien coprésident du groupe, et ex-eurodéputé d’EELV, qui a depuis quitté les rives vertes pour rejoindre la liste macroniste de Nathalie Loiseau, ne tarit pas d’éloges sur le groupe Les Verts-Alliance libre européenne : « Tous ces courants ont en commun leur rapport à la nature, aux ressources, à l’idée qu’ils se font de la solidarité. » Léger bémol : « Ils ont des désaccords tactiques ou stratégiques, certains ont une culture révolutionnaire, d’autres sont réformistes, mais ils partagent une envie d’agir ensemble. »

Et si, en France, Yannick Jadot a ressuscité la crainte d’une position ni droite-ni gauche en évoquant « libre entreprise », « économie de marché » et « pragmatisme » dans une interview au Point, en Europe, les écologistes français font plutôt figure d’affreux « gauchos ». « Les verts français ont une position très dure, très à gauche », estime Pascal Durand, qui défend désormais une position nettement moins… à gauche, pour ne pas dire de droite. Ce rôle, les élus d’EELV veulent bien l’assumer : « Il arrive souvent que la délégation française vote des textes et des amendements présentés par la GUE (2), admet Karima Delli, mais on peut aussi s’allier, selon les circonstances avec le PPE [conservateurs] et les socio-démocrates. » Chaque médaille a toutefois son revers et l’unité des écologistes européens pourrait bien être mise à mal une fois les élections passées.

Alors que se profile le grand duel opposant les nationalistes européens aux libéraux, les rumeurs de rapprochements entre les plus centristes de Die Grünen et LREM d’Emmanuel Macron bruissent dans les couloirs de Bruxelles. « Je ne crois pas une seconde à ces rumeurs », balaie Pascal Durand, qui entrevoit toutefois l’hypothèse d’une alliance entre les groupes de centre-droit qui « ne se reconnaissent pas dans la ligne impulsée par Laurent Wauquiez » et ceux de centre-gauche, comme les écologistes allemands. Objectif affiché : faire barrage à un candidat d’extrême droite, si ce n’est à la Commission européenne, au moins à la présidence du Parlement. Protégés par leurs « socle de valeurs », les écologistes européens se refusent pour l’heure à imaginer plus qu’un vote circonstancié en commun… Et c’est déjà beaucoup.


(1) Selon VoteWatch Europe (votewatch.eu). Le « taux de cohésion » de la GUE (PCF, LFI) est de 82 %, celui des socialistes de 92 %.

(2) Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique, où siègent notamment les communistes français.

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