NDDL : La ZAD prend racine

Deux ans après l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les activistes ont obtenu des baux agricoles sur leurs parcelles. Ils se battent désormais pour la régularisation de l’habitat.

Patrick Piro  • 22 janvier 2020 abonné·es
NDDL : La ZAD prend racine
© photos : PATRICK PIRO

On vous conseille résolument de venir avec vos bottes, insistait l’invitation à l’anniversaire. Les salamandres ont vécu un automne frétillant sur la ZAD et nous sommes de nouveau dans une zone extrêmement humide. » Trois violentes ondées viennent de traverser le ciel. Pourtant, même en hiver, le bocage de Notre-Dame-des-Landes n’a jamais rebuté les soutiens à la lutte. Quelque 250 personnes ont rallié le lieu-dit de la Gaîté, une parcelle hautement symbolique : là se dressait un corps de ferme, le premier rasé par l’opération César de « nettoyage » de la ZAD en 2012. La boue monte parfois jusqu’à mi-mollet, mais les panzerottis et le bortsch de la cantine Schmurtz ont la préférence des commentaires. La fameuse restauration mobile, militante et végétalienne a posé ses tréteaux aux abords de la scène du jour : une charpente en bois, qui va ressusciter l’ancien bâtiment. Il manque encore une dernière ferme à dresser. « À la force des bras, on n’est pas là pour aggraver l’effet de serre », explique un charpentier de la ZAD. Le bois, précise-t-il, provient « bien sûr » de Rohanne, la parcelle forestière voisine. Les volontaires se pressent, la corde se tend, l’affaire est réglée en cinq minutes. Quatre « êtres » du bocage, mi-humains mi-animaux, entament un « rituel bâtisseur » en mémoire « de tout ce qui a déjà été édifié et stupidement détruit par les machines de l’État ici, ainsi qu’en présage des différents espaces qui pourront revivre demain ». Qui le souhaite est invité à tracer, à la boue, un signe de protection sur un montant du bâtiment.

Tradition du métier, le plus jeune des charpentiers dissimule une bouteille de vin sous le faîte. La nacelle qui l’élève embarque aussi Geneviève Coiffard, « l’ancienne », référente historique des soutiens locaux à la lutte de Notre-Dame-des-Landes. Elle ligote au poinçon un bouquet de genêts en fleurs. Un arc-en-ciel surgit pour couronner la scène.

Un millier pour « poursuivre ensemble »

L’abandon de l’aéroport a déclenché d’énormes réjouissances… et de pénibles séparations. Le spectre du béton soudait toute une galaxie réfractaire, sa disparition a sonné la fin de la mobilisation pour nombre de personnes. Les plus engagées se réorganisent, éprises de l’expérience sociale et humaine née d’une décennie de résistance sur la ZAD. Mi-2018, quelques dizaines d’ex-membres du front dissout de l’Acipa lancent NDDL Poursuivre ensemble, qui compte aujourd’hui près de 1 000 adhésions. Commissions transport, fonds « La Terre en commun », rénovation de l’habitat, etc., « Quel rebond inespéré !, se réjouit Joël Quélard, président. Ce projet de transformation sociale dispose finalement d’un important soutien local. » L’association coorganise notamment le festival ZAD-envie, héritier des rassemblements annuels de résistance. Prochaine édition les 4 et 5 juillet 2020.

Ce 17 janvier, décrété férié dans le bocage, jour anniversaire de la décision d’abandon du projet d’aéroport il y a deux ans, les convives chantent encore et encore la victoire, mais tout autant la poursuite de la lutte. « Nous sommes toujours en situation de squatteurs de nos logements », souffle Thomas, habitant de la zone. L’érection de la charpente de la Gaîté inaugure une campagne de conquête du droit à l’habitat sur la ZAD, « notre nouveau front », explique Jojo à ses côtés. Depuis la très brutale offensive policière du printemps 2018, les grenades GLI-F4 se sont tues et les escadrons caparaçonnés ont disparu du paysage. Pour autant, l’apaisement sur le terrain n’a pas éteint l’affrontement entre le peuple de la ZAD et les autorités, déporté désormais dans les arènes administratives. Il y a un an et demi, la lutte pour la survie de l’expérience sociale de la ZAD se concentrait sur la régularisation de l’occupation des terres, officiellement redevenues disponibles. Position des autorités : les parcelles ont vocation à retourner entre les mains qui les exploitaient avant la déclaration d’utilité publique de l’aéroport (2008). Les quatre familles qui avaient refusé l’expropriation et résisté sur place ont ainsi recouvré leurs droits. Mais une partie de celles qui avaient signé leur départ à l’amiable avec Vinci, concessionnaire de l’ex-aéroport, se sont également manifestées, fondatrices de la très récente Association pour le maintien des exploitations légales sur l’ancienne zone aéroportuaire (Amelaza). Les zadistes (1) les ont fortement dans le nez : ces ayants droit potentiels, indifférents à la lutte, largement indemnisés, notamment par de confortables dotations en terres hors de la zone, ont parfois été gracieusement autorisés par Vinci à poursuivre l’exploitation de leurs anciennes parcelles tant que le chantier ne démarrait pas. « Pour couronner le tout, ces cumulards récupèrent aujourd’hui leurs terres en fermage sans rendre l’argent ! », s’offusque la résistance.

© Politis

Au nom de la paix sociale, une partie des terres non réclamées a été attribuée aux zadistes qui y travaillaient depuis parfois cinq années. « Et à force de négociations, mais aussi de pressions sur le terrain, nous sommes passés de 170 hectares sous bail précaire, au printemps 2018, à 360 hectares sous bail de fermage classique de neuf ans à ce jour, se félicite Jojo. Ces superficies correspondent à ce que nous sommes en mesure d’exploiter pour le moment : la bataille foncière est à peu près gagnée. » Un regret : les nouvelles opportunités foncières dépendent désormais du départ à la retraite de familles exploitantes (2).

La ZAD, où vivent aujourd’hui 150 personnes sur une trentaine de sites, revendiquait aussi de pouvoir gérer une réserve de terres en vue de futures installations, pour des usages collectifs diversifiés. Mais le nouveau plan local d’urbanisme intercommunal (Plui), modifié à la hâte afin d’entériner l’abandon de l’aéroport, confine les terres du bocage dans une vocation strictement agricole. « La définition d’un territoire vide ! », s’élève Geneviève Coiffard. Le Hangar de l’avenir, atelier des charpentiers, l’Ambazada, halle d’accueil et de formation, ou encore la bibliothèque Taslu… : les activités artisanales, culturelles ou sociales qui se sont développées sur une ZAD qui se rêve en « commune libre » gérée collectivement n’entrent donc pas dans le cadre. « Nous avons fait le tour des administrations de la préfecture, du département et de la communauté de communes locale pour défendre notre exception : sans succès pour le moment », déplore Thomas.

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La bataille de l’habitat pâtit également du Plui : il accepte la reconstruction des anciens corps de ferme détruits ainsi que l’édification de bâtiments nouveaux, mais uniquement s’ils sont à vocation agricole. « À cet effet, nous avons déposé avant-hier dix demandes de permis de construire en mairie de Notre-Dame-des-Landes », explique Jeanne, habitante du bocage. La nouvelle charpente de la Gaîté en fait partie. « Nous anticipons l’autorisation », sourit Jojo, manière de bousculer une administration locale bien peu encline à faciliter l’installation de cette population nouvelle. « Pour les autres types de construction, c’est plus délicat… », poursuit Jeanne. Cabanes, yourtes, caravanes, etc. : les activistes brandissent une disposition légale qui favorise l’habitat léger en zones agricoles. « Attendez que passent les élections municipales, nous dit-on, les discussions reprendront après… » Petits signes d’ouverture, qu’on a appris de longue date à ne pas prendre pour argent comptant, sur la ZAD.

« Nous sommes conscients que la pérennisation de nos projets prendra des années », commente l’inusable Geneviève Coiffard. Elle se consacre aujourd’hui au développement du fonds de dotation « La Terre en commun » (3). Lancé il y a un an, cet outil original est destiné à l’acquisition de terres et de bâtiments en propriété collective. Il a déjà collecté 700 000 euros de dons et vise le double cette année. Le fonds s’est déjà porté acquéreur auprès du conseil départemental, propriétaire de la majeure partie du foncier, mais qui n’entend rien vendre. Pour le moment. « Car il devrait y trouver son intérêt, notamment pour les bâtiments, qu’occupent les gens de la ZAD, juge Geneviève Coiffard. Ils sont dans un tel état de délabrement que leur remise en état coûterait très cher. Alors que dans le bocage, on s’en accommode déjà… Mais on n’est pas pressé. L’énergie est intacte, ici, et tout le monde travaille à fond. »

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L’ambiance est aujourd’hui plus légère que jamais. « Nous avons franchi un cap, confirme Jojo. Nous ne vivons plus dans la précarité au jour le jour, nous projetons de construire pour toute une vie et de montrer de quoi nous sommes capables avec ces terres ! » Une stabilisation acquise au prix d’une clarification locale décisive : les groupes les plus radicaux, qui se refusaient à toute forme de régularisation avec les pouvoirs publics, ont fini par quitter la ZAD. À la Gaîté, le micro tourne pour accueillir le présent inattendu de récentes victoires : l’abandon du projet de lotissement sur la parcelle maraîchère des Lentillères, défendue depuis 2010 par une ZAD urbaine au cœur de Dijon, ainsi que le retrait du pharaonique aménagement Europacity, prévu dans le triangle de Gonesse (Val-d’Oise) (lire pages précédentes). « Quelle satisfaction pour nous de ne plus être en ligne de front !, se réjouit Jojo, de jouer aujourd’hui le rôle de base arrière et de rétribuer par notre soutien toutes ces luttes qui ont été solidaires de la ZAD pendant des années. »

La journée anniversaire se termine par un fest-noz électrique sous le Hangar de l’avenir. Près de 600 personnes se serrent sur la piste de danse. La nuit est déjà bien avancée, et Nico, au micro, annonce hilare « une mauvaise nouvelle : les flics se vengent, ils font des contrôles d’alcoolémie à toutes les sorties de la ZAD. Mais bonne nouvelle, on est donc ensemble jusqu’à 10 heures du matin ! »

(1) Malléable à souhait, le terme ZAD est devenu depuis deux ans l’acronyme de « zone agricole en développement ».

(2) À lire le très intéressant fascicule « Prise de terre(s) », téléchargeable sur encommun.eco/files/article/etelivretnb.pdf.

(3) Voir encommun.eco