« J’ai du mal à croire que l’entreprise prend les mesures nécessaires pour désinfecter les cabines »

Aujourd’hui dans #LesDéconfinés, Cédric*, conducteur de train à la gare de Paris Saint-Lazare. Le plus souvent seul en cabine, les risques de contamination pendant sa journée de travail sont pourtant loin d’être anecdotiques.

Pauline Josse  • 10 avril 2020
Partager :
« J’ai du mal à croire que l’entreprise prend les mesures nécessaires pour désinfecter les cabines »
© Photo : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Je suis entré à la SNCF en 2014. Depuis octobre, je suis rattaché à la gare Saint-Lazare pour les grandes lignes en direction ou en provenance de Normandie.

Avant même l’annonce du confinement, j’avais déjà des réticences à aller travailler. Les chefs parlaient un peu du coronavirus, de loin, comme si cela ne nous concernait pas directement. Entre conducteurs, il est difficile d’échapper à la tradition de se faire la bise ou de se serrer la main chaleureusement. Quand j’ai commencé à éviter ces salutations, certains collègues n’ont pas compris. Aujourd’hui j’imagine qu’ils voient les choses autrement.

#Lesdéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.
Dès le lendemain de l’annonce du confinement, la SNCF est passée en plan de transport S1, en service très limité. Dans la foulée, on nous a remis un seul et unique « Kit Covid » avec deux masques à l’intérieur. Ils doivent être utilisés si un de mes voyageurs a un problème pendant le trajet et que je dois aller à sa rencontre.

Pour le reste, on a du gel hydroalcoolique à disposition avant chaque prise de service – mais pas de flacon pour en transporter avec nous en cabine. Cabine dont la désinfection m’interroge… J’utilise des lingettes pour nettoyer mon pupitre à chaque fois, et quand je vois ensuite l’état de ces lingettes, j’ai du mal à croire que l’entreprise prend les mesures nécessaires pour les désinfecter.

On peut s’imaginer que quand on est conducteur, on est toute la journée seul dans sa cabine. Sans compter le trajet pour venir travailler (j’habite à Courbevoie, au nord-ouest de Paris), les gares et les quais sont des lieux de passage où il est compliqué, voire impossible, d’éviter les autres. C’est à ce moment-là que je suis surtout exposé au virus. Mais s’il y a le moindre problème en roulant, c’est moi qui dois aller à l’arrière avec les voyageurs et dans ce cas c’est une tout autre histoire.

Mes supérieurs directs ont fait ce qu’ils pouvaient avec leurs moyens, c’est-à-dire pas assez. La direction ne leur a pas donné les moyens de faire plus. Un de mes collègues a attrapé le Covid-19, la direction lui a demandé quelle journée il avait travaillé, sur quelle ligne, avec qui il avait été en contact. Mais personne n’a été mis en quarantaine en conséquence.

Je me suis posé la question du droit de retrait. Pour le moment, je n’ai été affecté que six journées sur des trains depuis le début du confinement. Quand j’y vais, je me demande un peu pourquoi je le fais. Et puis je me rappelle que je suis bien content d’avoir un supermarché ouvert quand je vais faire mes courses, avec tous les employés que cela implique.

Il y a des gens qui ont vraiment besoin de moi pour aller travailler, des gens qui n’ont pas d’autres options ni accès au chômage partiel. Même si les trains que je fais rouler sont presque vides par rapport à d’habitude, je considère que je remplis toujours une mission de service public.

* Le prénom a été changé.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers » 
Interview 2 juillet 2025 abonné·es

Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers » 

Le rapport d’enquête sur les violences commises au sein des établissements scolaires réalisé à la suite du scandale de Notre-Dame-de-Betharram a été rendu public, ce mercredi. Politis a demandé à Claire Bourdille, fondatrice du Collectif Enfantiste, de réagir à cette publication.
Par Élise Leclercq
« Noire, musulmane, fille d’ouvriers : c’est de là que j’ai écrit un dictionnaire du féminisme »
La Midinale 2 juillet 2025

« Noire, musulmane, fille d’ouvriers : c’est de là que j’ai écrit un dictionnaire du féminisme »

Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice et autrice du Dictionnaire amoureux du féminisme aux éditions Plon, est l’invitée de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef