Par-dessus la tête du Conseil d’État

Le gouvernement s’acharne à imposer sa réforme de l’assurance chômage contre l’avis de la plus haute juridiction administrative.

Erwan Manac'h  • 29 septembre 2021
Partager :
Par-dessus la tête du Conseil d’État
© Georges Gonon-Guillermas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Comme s’il fallait à tout prix faire un exemple, le gouvernement s’acharne à imposer une réduction drastique des indemnités chômage des salariés précaires, au moment même où sa réforme des retraites est ajournée et où il distribue des aides à tout-va. Par ce geste clairement adressé à l’électorat de droite, il caresse un vieux mensonge du lobby patronal, selon lequel il serait plus avantageux de rester au chômage que de travailler.

Aux problèmes compliqués de la France, la Rue de Grenelle aurait ainsi trouvé une explication simple : la paresse des travailleurs. Sauf que cette présentation est mensongère : l’allocation-chômage ne peut, par principe, dépasser 75 % du salaire précédent. Ce que pointe en réalité le gouvernement, par une grossière manipulation statistique, c’est qu’un travailleur peut temporairement améliorer son niveau de vie lorsqu’il a suffisamment cotisé pour ouvrir des droits au chômage. Encore heureux !

L’exécutif a eu beau tordre et retordre la réalité, cette posture rhétorique a le plus grand mal à s’imprimer dans le droit. Le Conseil d’État a annulé partiellement son projet en novembre 2020, en raison de « ruptures d’égalité » trop importantes. Comment justifier, en effet, que la mesure d’économie de 2,3 milliards d’euros ne cible que les plus précaires ? Remodelée, republiée au printemps, puis à nouveau corrigée, la réforme a ensuite été suspendue le 22 juin 2021 par le Conseil d’État. Et dans un incroyable geste de mépris envers la plus haute juridiction administrative, le gouvernement claironne depuis de longues semaines son intention de publier le 30 septembre un copié-collé du décret suspendu en juin, pour une entrée en vigueur du texte dès le lendemain, 1er octobre.

Le passage en force est justifié par l’ajout d’une « note de conjoncture » soulignant les bons chiffres du chômage et de la croissance, censée répondre à la juge qui avait préféré suspendre la réforme en attendant son examen au fond, en raison de la grande incertitude économique du moment. Le gouvernement enjambe ainsi le Conseil d’État, prend de vitesse les syndicats, mais ne répond pas à la question de fond soulevé par les juges : la brutalité de la réforme (une baisse estimée à 17 % en moyenne pour 1,15 million d’allocataires, selon l’organisme gestionnaire de l’assurance-chômage, l’Unédic) et sa disproportion avec l’objectif affiché, la lutte contre la précarité. Rien n’exclut donc une nouvelle suspension ou annulation du texte dans les prochains mois. Qu’à cela ne tienne, tant que le gouvernement peut continuer à faire mentir les chiffres et à jouer à saute-mouton avec les juges… S’il le faut, jusqu’à la présidentielle.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Résistances
Parti pris 24 juillet 2024

Résistances

À quoi ressemblera la France après la trêve estivale, ou olympique, à laquelle aspire Emmanuel Macron ? Qui gouvernera ? À quoi ressemblera le monde de l’après-Biden ? Face au désordre, des résistances partout s’organisent, inspirant autant le respect que l’espoir d’un monde meilleur.
Par Pierre Jacquemain
Nouveau Front populaire : soyons lucides et réalistes
Parti pris 16 juillet 2024

Nouveau Front populaire : soyons lucides et réalistes

Depuis sa relative victoire le 7 juillet, le Nouveau Front populaire se cherche en vain un nom pour Matignon. Mais la coalition de gauche se déchire, pendant que Macron rigole et que le RN attend son heure. En quelques jours, elle s’est décrédibilisée.
Par Pierre Jacquemain
Une mobilisation populaire éteinte par une gauche irresponsable
Gauche 16 juillet 2024

Une mobilisation populaire éteinte par une gauche irresponsable

Alors que le Nouveau Front populaire a soulevé une espérance chez de nombreuses organisations du mouvement social, les dernières tergiversations quant au nom du Premier ministre ont jeté un froid. Et questionnent la possibilité d’un accompagnement d’un gouvernement de gauche par une mobilisation populaire.
Par Pierre Jequier-Zalc
À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble
Parti pris 9 juillet 2024

À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble

Au second tour des législatives, le Rassemblement national, bien qu’en forte progression, a été défait, le macronisme rejeté et le Nouveau Front populaire est devenu la première force politique à l’Assemblée. Mais la gauche doit-elle prendre le risque de gouverner sans capacité d’agir ?
Par Pierre Jacquemain