Primaire populaire : Accords forcés

L’Éducation nationale cristallise toute la gestion ubuesque de cette cinquième vague. Partout, les contaminations explosent, les personnels sont débordés. Et les élèves en pâtissent.

Michel Soudais  • 12 janvier 2022 abonné·es
Primaire populaire : Accords forcés
Des militant·es préparent un rassemblement pour une primaire d’union de la gauche, le 12 décembre à Toulouse.
© Francois Laurens / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Faut-il participer à la Primaire populaire ? La question est régulièrement posée aux candidats écologistes et de gauche que cette initiative citoyenne ambitionne de départager par un vote en ligne du 27 au 30 janvier. Affirmant ainsi répondre à un souhait des électeurs de gauche pour une candidature de rassemblement. Parmi eux, nombreux sont ceux qui s’interrogent également sur la finalité et les effets d’un processus incertain à moins de trois mois de l’élection présidentielle. Les jeunes organisateurs de cette primaire assurent quant à eux que « ce vote aura lieu quoi qu’il arrive, avec ou sans l’accord des candidats ».

Le 15 janvier, ils dévoileront lors d’une conférence de presse suivie d’un événement, de nature non précisée, à Paris, la liste définitive des personnalités qu’ils présenteront au vote. Soit « au maximum sept choix », selon Samuel Grzybowski, l’un des porte-parole du mouvement, puisque trois des dix personnalités (cinq femmes et cinq hommes) parrainées lors d’une première étape, à laquelle ont participé 130 000 citoyens entre le 11 juillet et le 11 octobre, ont indiqué ne pas être candidates à la présidentielle (1). Devraient donc figurer sur cette liste (sauf si l’un·e ou l’autre décidait de renoncer à l’Élysée) Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Christiane Taubira, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise et Anna Agueb-Porterie.

Pour l’heure toutefois, ni Yannick Jadot ni, du coup, Anne Hidalgo, et encore moins Jean-Luc Mélenchon, ne souhaitent se soumettre à cette consultation. Les candidats du Pôle écologiste et de La France insoumise s’agacent d’ailleurs d’être en permanence interrogés dans les médias sur ce qu’ils pensent de cette primaire atypique depuis que la candidate du PS, à la surprise générale, en a relancé l’idée le 8 décembre, ouvrant la voie à une candidature de Christiane Taubira. D’autant que les partisans de cette initiative, organisée par la société civile, multiplient les initiatives pour exhorter les candidats de gauche à l’union à travers ce processus. On les a vus organiser des petits sit-in plusieurs jours durant devant le siège des candidats, plaider leur cause aux abords des meetings et des manifestations. Dramatisant l’urgence d’une entente, douze d’entre eux, dont l’eurodéputé Pierre Larrouturou et Anne Hessel, ont même entamé le 7 janvier une grève de la faim. « Le projet de primaire populaire n’est pas “à prendre ou à laisser”, il peut être amélioré. Mais c’est la proposition d’union la plus aboutie et elle a déjà reçu le soutien de près de 300 000 personnes », affirmaient le même jour vingt-sept personnalités, dont Cyril Dion, Charles Berling, Emily Loizeau, Dominique Méda et Thomas Piketty, dans une tribune publiée par le journal Le Monde.

C’est en février 2021 que ce lobby pro-union de la gauche et des écologistes prend forme et se fixe pour objectif de vaincre les réticences des partis politiques et de désigner un candidat unique. Comment ? En comptant sur le soutien des électeurs. Autour d’une association, « 2022 ou jamais », qui affiche l’urgence de s’unir pour gagner et offrir un débouché politique à la génération climat, aux gilets jaunes, aux mouvements féministes et antiracistes, aux revendications du personnel soignant et des premiers de corvée. Ces militants issus de plusieurs collectifs non partisans élaborent pour cela une méthode en trois étapes. La première consiste à définir un socle programmatique commun avec le concours de toutes les forces de gauche. Il s’agit d’un préalable à un appel au rassemblement pour 2022. La seconde ouvre un temps de parrainage en ligne, pour permettre à tous les citoyens de désigner librement une personnalité qu’ils souhaiteraient voir concourir. Dans une troisième étape, les dix candidats les plus plébiscités devaient s’affronter dans le cadre d’une primaire, départagés en un tour unique selon les règles du « jugement majoritaire ».

Ce n’est plus une primaire, mais « une investiture populaire ».

Ambitieuse, la démarche, qui devait « faire basculer l’élection présidentielle », n’a toutefois pas rencontré le succès escompté. Ni auprès des candidats, ni auprès des électeurs et des électrices qu’elle voulait mobiliser. Avec 300 000 soutiens revendiqués fin décembre, dont 5 000 ou 8 000 bénévoles (le chiffre varie au gré des interviews), elle atteint tout juste, avec six mois de retard, l’objectif qu’elle visait pour aborder l’été (2). Lundi, les organisateurs se félicitaient que 110 000 personnes aient déjà complété leur inscription pour participer au vote final ; au lancement de la démarche, ils espéraient 2 millions de participants, déclarait Mathilde Imer, porte-parole du mouvement, dans plusieurs entretiens (voir ici et ). « La primaire populaire, c’est un microcosme et elle n’a souvent de populaire que le nom », raille Yannick Jadot. Soutien du candidat écolo, Sophie Taillé-Polian, sénatrice et coordinatrice nationale de Génération·s, est moins sévère. Tout en saluant une « précieuse démarche citoyenne », elle n’en déplore pas moins dans Le Monde (9 janvier) « une erreur de timing » : « S’ils avaient eu plus de poids dès l’été, les machines des partis ne se seraient pas mises en route sans concertation. »

Le calendrier a également été plusieurs fois repoussé – « à la demande des partis », se défend Mathilde Imer – et ses règles modifiées. Initialement, la primaire était envisagée le 23 octobre. Après une première prolongation, les candidats avaient jusqu’au 30 novembre minuit pour faire connaître leurs intentions. À cette date, Yannick Jadot et Anne Hidalgo ont décliné l’invitation ; Jean-Luc Mélenchon l’avait déjà fait durant l’été et Christiane Taubira demandait davantage de temps pour répondre. Quarante jours plus tard, l’ancienne garde des Sceaux a déclaré qu’elle « accepterait[t] le verdict de la Primaire populaire », « dernière chance d’une union possible de la gauche », confirmant implicitement sa participation au vote.

Ce dernier toutefois ne sera pas une primaire, l’appellation est trompeuse, mais « une investiture populaire », indique Mathilde Imer. « Jusqu’au 30 novembre on attendait une réponse des candidats pour participer à une primaire en bonne et due forme avec retrait des perdants au profit du vainqueur dans une coalition où on respecte la diversité, explique Samuel Grzybowski. Comme les gros candidats ne veulent pas y aller, on est passé sur un nouveau modèle. »

Et cela change beaucoup de choses. Si la question posée dans le vote est dévoilée le 15 janvier avec la liste des « personnalités » soumise aux votants, indique-t-il à Libération, « ces personnes sont libres de prendre, ou non, un engagement dans le cadre de l’opération de la Primaire populaire » n’ayant « pas eu à accomplir de démarches ni à donner leur accord pour être soumises au vote », lit-on à l’article 1 des CGU (3) de la plateforme de vote, que tout électeur est censé approuver, le plus souvent sans les lire. Et à l’article 5.1, on découvre que « le règlement de vote final sera publié en ligne […] au plus tard trois jours avant l’ouverture du vote », soit après la clôture des inscriptions. Pourquoi pas dès maintenant ? « Il n’y aura pas de surprise, se défend Mathilde Imer. Beaucoup d’éléments sont déjà lisibles dans la presse. »

« Ils agissent comme si les gauches n’avaient pas de différences notables. C’est faux. »

Le mode de scrutin au « jugement majoritaire » reste en vigueur. Les électeurs ne votent pas pour leur champion·ne mais s’expriment sur tous les candidats, en leur attribuant un choix parmi les cinq mentions, entre « excellent » et « à rejeter ». Le candidat qui a la meilleure médiane l’emporte. Le jugement majoritaire n’est toutefois pas sans défauts, estimions-nous dans une présentation des alternatives au scrutin majoritaire à deux tours (cf. Politis n°1448). Sa caractéristique, bien analysée en 2011 dans un rapport de Terra Nova qui l’envisageait pour la présidentielle, est de favoriser le candidat le plus central, pour ne pas dire centriste, au sein d’un électorat.

Les organisateurs s’engagent, eux, à soutenir la candidature de la ou du vainqueur et à mener sa campagne. À condition qu’elle ou il porte une dynamique de rassemblement et intègre le « socle commun » dans son projet présidentiel. Ce socle contient 10 propositions de rupture, inspirées des revendications des mouvements sociaux de ces dernières années et, indique Mathilde Imer, « coconstruit » avec les partis lors de 5 séances en zoom de 2 à 4 heures, en avril 2021. « Il permet de mettre en scène une espèce d’unité en n’abordant pas la question européenne ou les questions internationales », note Sarah Legrain, qui a participé aux discussions pour La France insoumise. Ce document rédigé par la Primaire populaire n’est « signé officiellement par aucun parti », admet Mathilde Imer, mais « tous nous ont donné leur retour », ce qui autorise à en faire « un label de compatibilité ». « La démarche de la primaire populaire repose sur un postulat vicié, met en garde l’eurodéputé EELV David Cormand, sur son blog. Au fond ils agissent comme si sur l’essentiel les gauches et les écologistes n’avaient pas de différences notables. C’est faux. » Et la faiblesse programmatique du « socle commun » en porte la marque. Comment dès lors espérer bâtir un rassemblement qui ne génère pas de nouvelles déceptions ?


(1) Il s’agit de l’économiste et prêtre jésuite Gaël Giraud, des députés LFI Clémentine Autain et François Ruffin.

(2) Fin avril, dans un des tout premiers articlesexposant la démarche de la Primaire populaire, nous évoquions même le chiffre de 500 000 signatures à l’été. Mathilde Imer, sa porte-parole, conteste que ce chiffre ait été avancé. Nous maintenons qu’il nous a été donné par un encadrant. Il n’a d’ailleurs pas été démenti à la parution de l’article.

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