Crimes de guerre : plaintes contre trois entreprises françaises d’armement pour complicité

Après la publication d’un rapport étayé, une coalition d’ONG réclame aux justices espagnole et française l’ouverture d’une enquête pour complicité de crimes de guerre contre Airbus Defence and Space, Thales Groupe, Dassault Aviation et MBDA France.

Sébastien Fontenelle  • 2 juin 2022
Partager :
Crimes de guerre : plaintes contre trois entreprises françaises d’armement pour complicité
© Photo : Exhibition d’un missile sur le stand de MBDA, une des trois sociétés françaises visés par la plainte des ONG, au Salon Eurosatory de Villepinte en 2014 (ERIC PIERMONT / AFP)

Les industriels français et européens de l’armement vont-ils enfin devoir répondre de leurs livraisons de matériels militaires à des régimes connus pour leur extrême brutalité ? Et en particulier la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (ÉAU), qui a, selon Amnesty international, procédé au Yémen, depuis 2015, à des dizaines de frappes aériennes disproportionnées et indiscriminées ayant blessé et tué des civils.

En Espagne, trois organisations non gouvernementales (ONG) – Amnesty, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (CEDCDH), dont le siège se trouve à Berlin, et le Centre Delàs d’études pour la paix, organisation catalane – viennent de demander à la procureure générale de l’État espagnol d’enquêter sur les équipements, fabriqués à Madrid et à Tolède, qui ont été livrés à l’armée de l’air saoudienne par la société Airbus Defence and Space, avec l’aval des autorités madrilènes (1). Selon ces ONG, qui ont transmis à la justice un rapport minutieusement documenté sur ces transactions, _« les personnes » – entrepreneurs et responsables gouvernementaux – « impliquées dans ces transferts » pourraient s’être rendues coupables de « complicité de crimes de guerre, dans la mesure où les armes exportées par l’Espagne ont été utilisées dans les frappes aériennes menées » au Yémen « par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ».

« Preuves accablantes »

De ce côté-ci des Pyrénées, ce sont trois ONG allemande, française et yéménite – le CEDCDH, Sherpa et Mwatana for Human Rights – qui ont, avec le soutien d’Amnesty international France, déposé ce matin une plainte pénale devant le tribunal judiciaire de Paris.

Elle vise trois entreprises d’armement hexagonales : Dassault Aviation, Thales Groupe et MBDA France, « pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient pu être commis du fait de leurs exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ».

« Outre l’illégalité probable de ces exportations au regard du Traité sur le commerce des armes et d’autres normes internationales », ces entreprises, rappellent les plaignants « peuvent », au même titre que les gouvernements qui autorisent ces exportations, « engager leur responsabilité pénale en tant que complices si elles persistent à exporter des armes tout en sachant qu’elles peuvent être utilisées pour commettre des crimes ».

Est-ce le cas ici ? Entre 2015 et 2020, la France, où le contrôle parlementaire en matière de ventes de matériels militaires est quasi-inexistant, a continué sous le couvert propice de cette opacité, à vendre des armes, des munitions et des services de maintenance à l’Arabie saoudite et aux ÉAU.

Et ce en dépit des « preuves accablantes » montrant que depuis 2015, la coalition emmenée par ces deux pays « a mené des frappes sans discrimination à l’encontre de la population civile au Yémen » : il revient désormais à la justice de dire si ce scandale peut encore durer.


(1) El Pais, 31 mai 2022.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier
Au Chili, un espoir pour la gauche
Analyse 1 juillet 2025 abonné·es

Au Chili, un espoir pour la gauche

Dimanche 29 juin, la candidate du Parti communiste, Jeannette Jara, a emporté haut la main les primaires de gauche. Elle représentera la coalition de centre-gauche Unidad por Chile à l’élection présidentielle, en novembre prochain. Un défi important dans un contexte de droitisation du continent sud-américain.
Par Marion Esnault
Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »
Justice 1 juillet 2025 abonné·es

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »

Deux soldats franco-israéliens sont visés par une plainte de plusieurs ONG, déposée ce 1er juillet à Paris, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis à Gaza. Ils sont accusés d’avoir participé à des exécutions sommaires au sein d’une unité baptisée Ghost Unit.
Par Maxime Sirvins
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant