Extrême-droitisation : c’est pas moi, c’est l’autre

Selon Le Monde, Éric Zemmour aurait contaminé l’opinion publique de ses idées xénophobes, misogynes et révisionnistes. C’est oublier un peu vite tous ceux et celles qui lui ont labouré le terrain où il a pu semer sa haine.

Sébastien Fontenelle  • 26 septembre 2022
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Extrême-droitisation : c’est pas moi, c’est l’autre
Éric Zemmour, lors de l'université d'été de son parti d'extrême-droite Reconquête, le 11 septembre 2022, à Gréoux-les-Bains.
© Photo : JEFF PACHOUD / AFP.

L’autre jour, Le Monde a publié un papier d’« analyse » – qui était donc présenté comme un truc un peu sérieux – consacré à ce qu’il appelle « le feu de paille de l’aventure Zemmour ». C’est-à-dire : la candidature de l’ex-collaborateur du Figaro à la dernière élection présidentielle. D’après l’auteur de cet article, elle « a laissé des traces profondes ». En effet, assure-t-il : Zemmour « a libéré une parole d’extrême droite, xénophobe, misogyne, révisionniste », et « la théorie du “grand remplacement” a contaminé une partie de l’opinion et du personnel politique ».

Quelques jours plus tard –c’était le 24 septembre –, Clément Beaune, ministre des Transports d’Emmanuel Macron, a tweeté : « À la veille d’un vote essentiel en Italie, n’oublions jamais ici d’où vient la flamme reprise par le FN : c’est la flamme qui sort du tombeau de Mussolini, le symbole choisi après-guerre par les néofascistes italiens. Elle est toujours l’emblème du Rassemblement national. »

Ces déclarations présentent, on l’aura compris, un avantage non négligeable : elles exonèrent Le Monde et le régime où émarge Clément Beaune de toute responsabilité dans le pourrissement extrême-droitier du débat public – qui se trouve donc imputé par Le Monde au seul Zemmour –, et dans l’institutionnalisation du parti dont le ministre des Transports constate à bon droit qu’il arbore toujours « le symbole choisi » après la Seconde Guerre mondiale par les néofascistes italiens. (Lesquels, soit dit en passant, n’étaient pas si néo que ça.)

Alain Finkielkraut, en 2017, se précipitait au secours de son cher « ami » Renaud Camus, inventeur de la « théorie du grand remplacement ».

Dans la vraie vie, cependant : ce n’est bien sûr pas la candidature de Zemmour qui a « libéré une parole d’extrême droite, xénophobe, misogyne, révisionniste » et banalisé le fantasme complotiste et raciste du « grand remplacement ». Dans la vraie vie : si cet agitateur a si facilement pu s’imposer dans la campagne présidentielle, c’est parce que d’autres que lui avaient déjà longuement labouré le terrain où il a semé ses haines dégueulasses. Comme Alain Finkielkraut, qui, en 2017, se précipitait au secours de son cher « ami » Renaud Camus, inventeur de la « théorie du grand remplacement », pour expliquer que celui-ci dénonçait « à juste titre » ce « remplacisme global ».

Pourtant, deux ans plus tard : Finkielkraut était invité en grande pompe à prendre la parole dans le cadre d’un « forum philo » organisé par Le Monde – qui ne s’offusquait donc nullement de le voir « contaminé » par ce fantasme.

C’est ainsi qu’« une parole d’extrême droite » a été libérée, et qu’un journal de référence a offert des tribunes à l’un de ses plus éminents libérateurs. C’est ainsi que la propagande du Rassemblement national a été normalisée et que ce parti a gagné 86 député·es aux dernières élections législatives. Après quoi, comme on sait : les ami·es de M. Beaune lui ont, dans la vraie vie, très gentiment offert des vice-présidences de l’Assemblée nationale – sans s’offusquer du tout de son emblème.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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