« Liz Truss est l’agente de l’accaparement des ultrariches »
Thierry Labica, enseignant spécialiste en études britanniques à Nanterre, décrypte le déni de réalité manifesté par la nouvelle Première ministre britannique, alors qu’un mouvement social sans précédent agite le pays.
dans l’hebdo N° 1723 Acheter ce numéro

Le paradoxe restera sans doute dans l’histoire : la plus mal élue des Prime Minister du Royaume-Uni, Liz Truss, aura été l’ultime cheffe de l’exécutif à avoir rencontré la reine Élisabeth II pour prendre ses fonctions, deux jours à peine avant le décès de celle-ci, après un règne de soixante-dix ans. Une souveraine dont la fonction même garantit a priori la stabilité et le bon fonctionnement du système constitutionnel, démocratique (et très parlementaire) outre-Manche.
Or la nomination de Liz Truss au 10 Downing Street n’a été acquise qu’avec les suffrages de moins de 0,2 % des électeurs britanniques, quand celle-ci multiplie les prises de position outrancières à l’encontre des sujets les plus défavorisés de Sa Gracieuse Majesté, dans un contexte d’hyperinflation, notamment des tarifs de l’énergie ou de l’eau, en prônant une politique ultralibérale. Mais aussi en affichant toujours plus de mépris vis-à-vis des autres nations composant le Royaume-Uni, telles l’Écosse et l’Irlande du Nord.
Si les forts mouvements sociaux de ces derniers mois connaissent une pause (volontaire) du fait du décès de la reine, Liz Truss n’y répond pour l’instant que par une surenchère dédaigneuse jusque dans les nominations de ses proches collaborateurs et ministres. Thierry Labica, enseignant spécialiste en études britanniques à l’université Paris-Nanterre (1) analyse ce déni de réalité sociale et politique de la part du nouveau gouvernement tory. Un aveuglement qui s’apparente à une fuite en avant vers toujours plus d’inégalités et d’autoritarisme.
La mort d’Élisabeth II peut-elle signifier la fin de la monarchie ?
Thierry Labica : Assurément non, puisque la reine décédée a bien un successeur, désormais Charles III. Toutefois, la monarchie ne se porte pas au mieux, après un règne où Elizabeth II a réussi à incarner durant soixante-dix ans une institution stable et honorable. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas, avec notamment un prince Andrew (frère du nouveau roi) impliqué dans les scandales de pédophilie et d’abus sexuels de l’affaire Epstein, et le couple Harry et Meghan qui a fait sécession du Palais. Donc les affaires familiales ne vont pas très fort, également parce que l’unité du Royaume-Uni, normalement représentée par l’unité de la famille royale, déjà fragile, est sous le coup de forces centrifuges.
Et c’est un peu la même chose pour le Commonwealth. La nouvelle Première ministre ultralibérale et conservatrice, Liz Truss, a multiplié les déclarations outrancières expliquant qu’il fallait « ignorer » (sic) Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise indépendantiste, pourtant élue et réélue avec de fortes majorités. Pour l’Irlande du Nord, c’est encore plus violent, puisque, comme l’Ulster a pour la première fois donné vainqueur le Sinn Féin, parti réclamant son rattachement à la République d’Irlande, Liz Truss veut remettre en cause l’application de l’accord du Vendredi saint de 1998 (2), qui a mis fin au conflit armé long de trois décennies. Elle donne donc du grain à moudre aux nationalismes écossais et nord-irlandais, ce qui ne va pas vers l’unité nationale.
C’est vraiment un gouvernement de combat de la frange la plus à droite des parlementaires du Parti conservateur.
Enfin, je voudrais rompre un peu avec la présentation des médias français d’une immense émotion populaire autour de la mort de la reine. Il n’y a pas tant de personnes qui sont vraiment émues par ce décès. Déjà, en juin, pour le jubilé des soixante-dix années de règne, une part significative de la population britannique était indifférente, sinon hostile – sans parler des Écossais, des Gallois ou des Nord-Irlandais.
Je rappelle que le républicanisme est un mouvement assez fort outre-Manche, avec une longue histoire. Mais les médias français (et d’ailleurs) aiment à présenter l’Angleterre comme un mix de tradition et de modernité, mêlant châteaux et famille royale avec les cartes
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